mardi 26 juillet 2016

Enheduanna

Vie des femmes illustres #1

Enheduanna est le premier poète connu de l'histoire de l'humanité. Il faudra encore près de deux siècles avant que le nom d'un homme soit attaché à un poème.

Enheduanna n'est pas que le nom d'une poétesse, elle est fille de Sargon, le premier roi qui parvint à unifier la Mésopotamie en un vaste empire akkado-sumérien, et d'une reine sumérienne devenue l'une de ses épouses. Fruit de cette union, elle incarne la fusion entre la société sumérienne, à l'avant-garde de la civilisation, mais vieillissante, et un groupe ethnique jeune et dynamique en pleine expansion, les akkadiens. Elle a vécu vers -2300 / -2250.

Enheduanna fut grande prêtresse de Sîn-Nanna, le dieu lunaire, à Ur, et peut-être aussi de d'Inanna dans cette même ville. Elle est la première grande prêtresse de Sîn-Nanna dont le nom nous est connu. En tant que telle, elle était identifiée au parèdre du dieu qu'elle servait, à son épouse divine, Ningal. Elle fut également la première grande prêtresse à être divinisée et à recevoir un culte après sa mort. Ses hymnes, dont quarante-huit nous sont parvenus, ont structuré la liturgie mésopotamienne pendant cinq siècles, jusqu'à l'avènement de Hammurabi et le recentrage du culte mésopotamien autour de la royauté divine de Marduk.

Elle connaît l'exil pendant le règne de son demi-frère, peut-être pour des raisons politiques, du fait du pouvoir que possède inévitablement une grande prêtresse dans la cité qu'elle administre.

Des historiens ont avancé qu'Enheduanna n'était pas l'auteure des œuvres qui portent son nom. Elle en serait seulement la commanditaire. L'argument sur lequel ils s'appuient est que la poésie mésopotamienne ne connaît aucune autre femme auteure et que l'art de l'écriture en général est un art masculin, réservé à des professionnels, les scribes. 
Une telle thèse me gêne à plus d'un titre. Si l'on efface un auteur féminin parce qu'il constitue une exception, que se passera-t-il si l'on retrouve la trace d'une deuxième femme auteure, si ce n'est à nouveau son effacement, toujours justifié par son caractère exceptionnel ? à partir de quel nombre doit-on s'arrêter d'effacer les femmes du champ de la poésie ? 
Par ailleurs, si Enheduanna constitue une exception dans la littérature mésopotamienne, on voit que toute sa vie est marquée du sceau de la singularité et que le rôle qu'elle joue est unique pour une femme dans une culture à bien des égards « machiste ». 
Enfin, cette thèse repose sur une distinction auteur – commanditaire dont la pertinence est remise en cause aujourd'hui : l'idée du poète génial qui porte en lui toute son œuvre et du mécène qui ne fait que l'entretenir, semble inexacte et appartient à une conception romantique de la création. On sait par exemple que Mécène, le célèbre protecteur de Virgile, lui fournissait et l'idée et les grandes orientations stylistiques de ses poèmes. Affirmer que Enheduanna est la commanditaire des œuvres qui lui sont attribuées, ne revient pas pour autant à dire qu'elle n'a joué aucun rôle dans leur création.
Mais affirmer cela, c'est se méprendre sur la relation du commanditaire et de l'écrivain en Mésopotamie : de même que le roi est le commanditaire des stèles qui narrent ses exploits et que les scribes et sculpteurs en sont les artisans, ce sont les dieux qui sont les commanditaires des poèmes de Enheduanna et c'est bien elle qui en est l'artisan, la poète, l'auteure – à moins que l'on introduise une nouvelle distinction, entre commanditaire, architecte et artisan, mais c'est là un peu trop raffiner à mon humble opinion.

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