dimanche 9 octobre 2016

Andromède l'Africaine

Andromède, Persée a été la chercher chez les noirs Indiens.
Ovide, L'art d'aimer, Livre I.

Les « noirs Indiens » dont il est question ici, sont les habitants de l'Éthiopie : Andromède, princesse éthiopienne, a donc la peau noire des gens de son pays.

Voilà maintenant quelques représentations d'Andromède :


Sur ce vase corinthien du VIème siècle avant J.-C., on remarque, chose étonnante dans un objet créé par un artisan grec, forcément fin connaisseur des mythes, qu'Andromède est blanche, tandis que Persée, natif de la ville d'Argos dans le Péloponnèse, a la peau noire.
Comment rendre compte d'une telle interversion ? Dans la céramique attique à figures noires, les corps des personnages se détachent sur un fond rougeâtre tantôt en noir, tantôt en blanc.
Mais pourquoi alors ne pas faire correspondre ce code artistique avec la « vérité » du mythe ? Eh bien, parce qu'une convention liée au genre intervient ici : pour les grecs, le masculin est solaire et noir (brûlé par le soleil), tandis que le féminin, négatif du masculin, est lunaire et blanc. Cette distinction a un fondement idéologique : les hommes, astreints à travailler dans les champs, ont la peau hâlée, quand les femmes, qui doivent être occupées, à l'intérieur du gynécée, à filer et à tisser, ne voient guère le soleil et conservent leur teint pâle.
Ainsi, dans L'assemblée des femmes d'Aristophane, l'un des personnages, parlant des Athéniennes qui, déguisées, ont pris la place des hommes à l'Ecclesia, dit ceci : En effet, on avait sous les yeux une assemblée de visages excessivement blancs. Le corps blanc est donc le signe distinctif de la femme (ainsi que de l'artisan, mais ne compliquons pas les choses).


Sur cette poterie athénienne datant du VIème siècle av. J.-C., peinte par Exécias, la scène centrale représente Achille (peau et armure noires) tuant Penthésilée, reine des Amazones (peau blanche, armure noire) : qu'importe que Penthésilée mène la même vie qu'Achille, qu'elle soit souvent comme lui à chevaucher et à combattre, elle est conventionnellement représentée avec le teint blanc.

Passons maintenant aux représentations ultérieures de notre princesse éthiopienne, toujours pâle, voire très pâle.


C'est le cas de l'Andromède romaine de cette fresque mise à jour dans la Maison de Castor et Pollux à Pompéi, et qui date du Ier siècle. Persée, quant à lui, a le hâle de ceux qui vivent au grand air. Pourquoi une telle distance avec le mythe ? La peinture romaine s'attache à peindre la beauté et la conception latine de la beauté veut que les femmes aient la peau blanche et que les hommes qui ne sont plus des adolescents, qui ne sont pas non plus efféminés, l'aient brune. Je cite à nouveau Ovide (livre II) : N'allez pas surtout reprocher à une belle ses défauts : que d'amants se sont bien trouvés de cette utile dissimulation ! Le héros aux pieds ailés, Persée, ne blâme jamais dans Andromède la couleur brune de son teint. Le teint brun est présenté comme un défaut, qui n'a cependant rien de rédhibitoire, et l'auteur explique plus loin comment y pallier.
L'on voit donc avec cette fresque romaine, que le whitewashing, qui a pu être reproché ces dernières années aux réalisateurs américains, ne date pas d'aujourd'hui !

Dans la peinture occidentale, du Moyen-Âge jusqu'à nos jours, les représentations d'Andromède abondent, au point qu'il m'a presque été difficile de faire un choix. Nue ou (parfois) habillée, chaste ou sensuelle, seule ou figurant au milieu d'autres personnages, il semble que bien des peintres aient été inspirés par cette figure mythologique.

Gustave Doré, Andromède, 1869.

Edward Burne Jones, Andromède, 1884-85.

Depuis le XIXème siècle, rien n'a changé : notre époque, et notamment le cinéma hollywoodien, continue à représenter, que dis-je ? à fantasmer Andromède, car le caractère érotique des représentations modernes d'Andromède est manifeste, parfaitement blanche et caucasienne.


Voici donc Andromède, telle qu'elle apparaît dans Le choc des Titans de Louis Leterrier (2010), film que je n'ai pas vu, je le confesse. La jeune princesse est ici blanche, et pour cause : la voilà devenue grecque et son père, roi d'Argos ! Pourquoi ces libertés prises avec les sources mythologiques ? Peut-être pour ne pas se voir reprocher d'avoir choisi une actrice blanche pour jouer le rôle d'une femme de couleur, procédé classique du cinéma d'Hollywood.

Dessin de Nicolas Bournay, dessinateur français en activité.

La diversité existe donc même dans la culture européenne la plus classique, dans la culture grecque antique, qui s'est nourrie des influences des pays du bassin méditerranéen élargi et de la zone indo-africaine : il est dommage de la rendre invisible comme cela a été fait pendant des siècles.
Persée est un héros dont la quête le mène aux confins des terres connues. Son mariage avec une femme noire qu'il ramène dans son pays, est le symbole de cette confrontation à l'altérité qui est le propre de toute geste héroïque.
Enfin n'oublions pas que de cette union vont naître des enfants qui seront à l'origine des dynasties légendaires régnant sur les grandes cités grecques de Tirynthe, de Mycènes ou de Sparte, et qui compteront parmi leurs descendants Héraklès, Tyndare et Pénélope, ce qui fait de ces derniers des métis : n'en déplaise à certains, les racines de l'Europe, du moins mythiques, ne sont pas seulement blanches !
Les conventions artistiques, en reproduisant les idéaux structurels d'une société, tendent à effacer la diversité de ses racines. Dans la mesure où elles ne s'appliquent qu'à la forme et pas au contenu, elles traduisent le fait que la diversité n'est pas un problème : Andromède, noire, sera une reine grecque comme une autre, qui ne souffrira point, si je puis dire, de discriminations. Mais quand le contenu n'est plus qu'un lointain souvenir, elles provoquent des malentendus et peuvent servir un centrisme culturel trompeur.