Andromède,
Persée a été la chercher chez les noirs Indiens.
Ovide,
L'art d'aimer, Livre I.
Les
« noirs Indiens » dont il est question ici, sont les
habitants de l'Éthiopie
: Andromède, princesse éthiopienne, a donc la peau noire des gens
de son pays.
Voilà
maintenant quelques représentations d'Andromède :
Sur
ce vase corinthien du VIème siècle avant J.-C., on remarque, chose
étonnante dans un objet créé par un artisan grec, forcément fin
connaisseur des mythes, qu'Andromède est blanche, tandis que Persée,
natif de la ville d'Argos dans le Péloponnèse, a la peau noire.
Comment
rendre compte d'une telle interversion ? Dans la céramique attique à
figures noires, les corps des personnages se détachent sur un fond
rougeâtre tantôt en noir, tantôt en blanc.
Mais
pourquoi alors ne pas faire correspondre ce code artistique avec la «
vérité » du mythe ? Eh bien, parce qu'une convention liée au
genre intervient ici : pour les grecs, le masculin est solaire et
noir (brûlé par le soleil), tandis que le féminin, négatif du
masculin, est lunaire et blanc. Cette distinction a un fondement
idéologique : les hommes, astreints à travailler dans les champs,
ont la peau hâlée, quand les femmes, qui doivent être occupées, à
l'intérieur du gynécée, à filer et à tisser, ne voient guère le
soleil et conservent leur teint pâle.
Ainsi,
dans L'assemblée des femmes d'Aristophane, l'un des
personnages, parlant des Athéniennes qui, déguisées, ont pris la
place des hommes à l'Ecclesia, dit ceci : En effet, on avait sous
les yeux une assemblée de visages excessivement blancs. Le corps
blanc est donc le signe distinctif de la femme (ainsi que de
l'artisan, mais ne compliquons pas les choses).
Sur
cette poterie athénienne datant du VIème siècle av. J.-C., peinte
par Exécias, la scène centrale représente Achille (peau et armure
noires) tuant Penthésilée, reine des Amazones (peau blanche, armure
noire) : qu'importe que Penthésilée mène la même vie qu'Achille,
qu'elle soit souvent comme lui à chevaucher et à combattre, elle
est conventionnellement représentée avec le teint blanc.
Passons
maintenant aux représentations ultérieures de notre princesse
éthiopienne, toujours pâle, voire très pâle.
C'est
le cas de l'Andromède romaine de cette fresque mise à jour dans la
Maison de Castor et Pollux à Pompéi, et qui date du Ier siècle.
Persée, quant à lui, a le hâle de ceux qui vivent au grand air.
Pourquoi une telle distance avec le mythe ? La peinture romaine
s'attache à peindre la beauté et la conception latine de la beauté
veut que les femmes aient la peau blanche et que les hommes qui ne
sont plus des adolescents, qui ne sont pas non plus efféminés,
l'aient brune. Je cite à nouveau Ovide (livre II) : N'allez pas
surtout reprocher à une belle ses défauts : que d'amants se sont
bien trouvés de cette utile dissimulation ! Le héros aux pieds
ailés, Persée, ne blâme jamais dans Andromède la couleur brune de
son teint. Le teint brun est présenté comme un défaut, qui n'a
cependant rien de rédhibitoire, et l'auteur explique plus loin
comment y pallier.
L'on
voit donc avec cette fresque romaine, que le whitewashing, qui a pu
être reproché ces dernières années aux réalisateurs américains,
ne date pas d'aujourd'hui !
Dans
la peinture occidentale, du Moyen-Âge jusqu'à nos jours, les
représentations d'Andromède abondent, au point qu'il m'a presque
été difficile de faire un choix. Nue ou (parfois) habillée, chaste
ou sensuelle, seule ou figurant au milieu d'autres personnages, il
semble que bien des peintres aient été inspirés par cette figure
mythologique.
Gustave
Doré, Andromède, 1869.
Edward
Burne Jones, Andromède, 1884-85.
Depuis
le XIXème siècle, rien n'a changé : notre époque, et notamment le
cinéma hollywoodien, continue à représenter, que dis-je ? à
fantasmer Andromède, car le caractère érotique des représentations
modernes d'Andromède est manifeste, parfaitement blanche et
caucasienne.
Voici
donc Andromède, telle qu'elle apparaît dans Le choc des Titans
de Louis Leterrier (2010), film que je n'ai pas vu, je le
confesse. La jeune princesse est ici blanche, et pour cause : la
voilà devenue grecque et son père, roi d'Argos ! Pourquoi ces
libertés prises avec les sources mythologiques ? Peut-être pour ne
pas se voir reprocher d'avoir choisi une actrice blanche pour jouer
le rôle d'une femme de couleur, procédé classique du cinéma
d'Hollywood.
Dessin
de Nicolas Bournay, dessinateur français en activité.
La
diversité existe donc même dans la culture européenne la plus
classique, dans la culture grecque antique, qui s'est nourrie des
influences des pays du bassin méditerranéen élargi et de la zone
indo-africaine : il est dommage de la rendre invisible comme cela a
été fait pendant des siècles.
Persée
est un héros dont la quête le mène aux confins des terres connues.
Son mariage avec une femme noire qu'il ramène dans son pays, est le
symbole de cette confrontation à l'altérité qui est le propre de
toute geste héroïque.
Enfin
n'oublions pas que de cette union vont naître des enfants qui seront
à l'origine des dynasties légendaires régnant sur les grandes
cités grecques de Tirynthe, de Mycènes ou de Sparte, et qui
compteront parmi leurs descendants Héraklès, Tyndare et Pénélope,
ce qui fait de ces derniers des métis : n'en déplaise à certains,
les racines de l'Europe, du moins mythiques, ne sont pas seulement
blanches !
Les
conventions artistiques, en reproduisant les idéaux structurels
d'une société, tendent à effacer la diversité de ses racines.
Dans la mesure où elles ne s'appliquent qu'à la forme et pas au
contenu, elles traduisent le fait que la diversité n'est pas un
problème : Andromède, noire, sera une reine grecque comme une
autre, qui ne souffrira point, si je puis dire, de discriminations.
Mais quand le contenu n'est plus qu'un lointain souvenir, elles
provoquent des malentendus et peuvent servir un centrisme culturel
trompeur.