samedi 30 avril 2016

Femmes sur la brèche

Mars convive des femmes # 3

Si la part que les femmes prennent à la guerre est minime, elle n'en existe pas moins. Qu'est-ce que l'histoire fait et retient de cette participation ? On note une double tendance :
  1. L'opposition entre les vertus attachées traditionnellement au féminin et celles qu'exige la guerre conduit à ne point conserver le souvenir de ce qui n'est pas conforme à cette distinction : on observe donc un certain effacement de la mémoire des femmes combattantes (cf. l'exemple ci-dessous des femmes de La Rochelle). Avec la perte de cette mémoire, l'on tend aujourd'hui à penser que les femmes se sont toujours tenues éloignées des armes et que les femmes soldats de nos armées occidentales, par exemple, sont une nouveauté sans précédent.
  2. À l'inverse de cet effacement, on relève la perpétuation et l'exaltation du souvenir de grandes figures féminines belliqueuses. Marquées du sceau de l'extraordinaire et de l'exceptionnel, elles rejettent dans l'ombre leurs modestes sœurs d'armes ; elles sont l'exception qui confirme la règle. L'une de ces grandes figures est Jeanne Hachette. Elle semble chargée par la mémoire collective d'incarner l'héroïsme au féminin, en confondant toutes les femmes en armes en une seule, contribuant ainsi à minimiser, voire à effacer leur réalité. Jeanne d'Arc, autre grande figure de femme martiale, donne à voir un héroïsme féminin isolé, qui se déploie au milieu de groupes d'hommes. Quoique d'une existence historique avérée, elle est entourée d'une aura mythique qui la déréalise. Sa condition de guerrière, le pouvoir qu'elle acquiert sur les hommes qui l'entourent, ne modifie point la condition de ses congénères et n'influencent en rien la représentation qu'on se fait des femmes. Enfin, il existe un dernier type de grandes figures féminines belliqueuses, qui ni ne représente l'héroïsme collectif d'un groupe de femmes, ni ne réfère même à une femme de chair et d'os, mais seulement à des valeurs abstraites : la Liberté, la Patrie..., valeurs qui doivent animer au combat les citoyens français, qui sont, jusqu'en 1945, de sexe masculin. Je pense ici au tableau d'Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830), où le peuple français insurgé, uniquement des hommes, est guidé par une femme dépoitraillée, allégorie d'une valeur abstraite : la Liberté.



Les Femmes de Beauvais

Les faits :
Le 27 juin 1472, le duc de Bourgogne, dans la guerre qui l'oppose à Louis XI, met le siège devant Beauvais. La ville est sans garnison : les habitants montent aux remparts pour défendre leur cité. Hommes et femmes combattent de concert. Le 22 juillet, les 80.000 assaillants sont définitivement repoussés et l'avancée de Charles le Téméraire est stoppée net.

Jeanne Laisné, surnommée Jeanne Hachette :
Jeanne Laisné, jeune habitante de la ville, saisit une hache pour repousser un Bourguignon qui saute de son échelle d'assaut.


Mémoire des exploits des femmes :
Le roi de France Louis XI institue en l'honneur de la résistance des bourgeois de Beauvais la procession de l'Assaut. À cette occasion, les femmes sont particulièrement distinguées : elles précèdent les hommes dans le cortège. De plus, filles et femmes de Beauvais sont autorisées à porter, lors de leur mariage et en toute autre occasion, les vêtements et ornements qui leur conviennent, c'est-à-dire qu'elles ne sont plus soumises aux lois somptuaires, qui imposent et interdisent telle ou telle parure en fonction de la classe sociale et du métier.
La mémoire de Jeanne Hachette est d'abord perpétuée par la fête civile et religieuse de l'Assaut, qui porte bientôt son nom, puis par de nombreuses productions littéraires (*) et musicales. Mais à partir du XIXè siècle, son existence fait l'objet de suspicions. À partir du XXè siècle, ce personnage suscite un regain d'intérêt. Sa célébrité acquiert une nouvelle dimension en 1920, quand, suite à la canonisation de Jeanne d'Arc, la gauche républicaine et anticléricale se cherche une nouvelle héroïne, laïque cette fois, capable d'incarner la résistance guerrière de la France à ses oppresseurs.


Remarques :
Je ne peux m'empêcher de poser ici la question de ce qui peut pousser des femmes à combattre, quand des freins aussi nombreux que l'éducation, la norme sociale... s'y opposent. La participation des femmes à la défense de Beauvais s'explique-t-elle par le caractère extrêmement dramatique des circonstances, qui fait que toutes les recrues, quel que soit leur sexe, sont les bienvenues et que la répartition des rôles qui prévaut le reste du temps, ne vaut plus pendant un temps qui est celui de l'extraordinaire ? Cette « égalité » des hommes et des femmes favorisée par l'urgence des circonstances disparaît dès le retour à la normalité et ne doit surtout pas faire école.
Exclues théoriquement des armées régulières, les femmes semblent accéder plus aisément aux forces armées non professionnelles, telles que les constituent par exemple les habitants d'une ville assiégée. Dans l'univers masculin qu'est la guerre se crée une nouvelle scission entre une guerre masculine et une guerre plus féminine. Nous retrouverons plus loin, dans l'exemple des assiégées de La Rochelle, toute une série d'oppositions se greffant autour de cet axe : attaque / résistance, conquête / préservation, soldat / civil, armée régulière / milice bourgeoise, bataille / siège, extérieur / intérieur-foyer, avec une supériorité du premier terme sur le second, second terme où s'exprime principalement la valeur féminine, et où elle est autorisée par les hommes à s'exprimer.
Quoique attestée, l'action collective des habitantes de Beauvais est en partie occultée par le personnage de Jeanne Hachette, qui lui n'a rien de certain, et qui, à son tour, disparaît dans sa réalité concrète au profit de l'allégorie. Ici comme ailleurs, l'on peut noter que l'héroïsme féminin n'ouvre point sur des avantages politiques durables pour les femmes (l'avantage obtenu par les femmes de Beauvais est surtout honorifique). Par contre, comme souvent, il est déréalisé, instrumentalisé et chargé d'un sens qui varie selon les opinions politiques de ceux qui s'en emparent.

(*) Araignon, Le Siège de Beauvais ou Jeanne Laisné, tragédie en cinq actes (1766), D.A.F. de Sade, Jeanne Hachette, tragédie en cinq actes (1791), etc.

Les femmes de La Rochelle (1572)

« Les assiégés venaient de faire une sortie heureuse contre les ouvrages avancés de l’armée catholique. Ils avaient comblé plusieurs toises de tranchées, culbuté des gabions et tué une centaine de soldats. Le détachement qui avait remporté cet avantage rentrait dans la ville par la porte de Tadon. D’abord marchait le capitaine Dietrich avec une compagnie d’arquebusiers, tous le visage échauffé, haletants et demandant à boire, marque certaine qu’ils ne s’étaient pas épargnés. Venait ensuite une grosse troupe de bourgeois, parmi lesquels on remarquait plusieurs femmes qui paraissaient avoir pris part au combat. »
Chroniques du règne de Charles IX, Prosper Mérimée, 1829.

Même remarque que précédemment : des circonstances extrêmes (les combats entre protestants et catholiques autour de la ville succèdent de peu à la Saint-Barthélémy et l'on peut comprendre que des femmes promises à une mort certaine choisissent de mourir les armes à la main) et une guerre de siège.
Dominique Godineau montre dans un de ses articles passionnant (*) que la société valorise et permet jusqu'à un certain point à la femme de se défendre et de défendre ses enfants en usant de violence ou de ruse, qu'il s'agit là d'un prolongement du rôle protecteur qui est traditionnellement le sien. Elle cite pour illustrer son propos un extrait des Mémoires du capitaine Gaspard de Saulx-Tavannes :

Que les femmes fassent les femmes, non les capitaines : si la maladie de leurs maris, la minorité de leurs enfants, les contraignent se présenter au combat, cela est tolérable pour une fois ou deux en la nécessité ; il leur est plus séant se mêler des affaires en une bonne ville proche des armées, que d’entrer en icelle, où elles sont injuriées des ennemis et moquées des amis.
« Tavannes pose clairement les limites : en cas de « nécessité », les dames peuvent remplacer les hommes, ou participer à la protection d’une ville assiégée en réparant les murailles, en encourageant les combattants, voire en prenant les armes (Poitiers 1569, La Rochelle 1572). Mais leur place n’est pas sur les champs de bataille, car il n’est guère bienséant de voir une femme, armée et vêtue comme un homme, se distinguer par des exploits individuels qui vont à l’encontre des qualités féminines de réserve et modestie – sans compter que la présence des soldats fait toujours planer le danger de viol. Et surtout, dans tous les cas, leur combat doit être défensif et non conquérant. De fait, ces nobles héroïnes se sont battues pour défendre leur domaine, et non pour aller porter le fer à l’étranger ; et c’est d’ailleurs souvent parce que leur mari guerroyait au loin qu’elles-mêmes le remplaçaient sur place. La traditionnelle répartition femme-intérieur / homme-extérieur n’était pas bouleversée. »

L'on voit bien avec cet exemple de La Rochelle que même un héroïsme féminin socialement autorisé a tendance à être gommé et à disparaître de la mémoire collective : la représentation de la différence des sexes, reposant sur la distinction qui fait de la guerre le domaine des hommes et de la paix celui des femmes, se perpétue au détriment de toutes les réalités qui la dérangent et la contredisent.

(*) Dominique Godineau, De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française, in Clio, 20-2004.

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