lundi 24 septembre 2018

Le sylphe de Georgiana Cavendish : impressions de lecture


 Je jette ici quelques notes sur Le sylphe, roman attribué à lady Georgiana Cavendish (7 juin 1757 - 30 mars 1806). Mon idée était de conserver une trace de mes impressions de lecture, démarche assez personnelle, j'en conviens, mais dont je publie pourtant ici le résultat, parce que les exigences de la publication me forcent à approfondir et construire un peu mieux ma pensée. Il s'agit également de l'œuvre d'une femme, assez méconnue en France, et il est toujours bon de parler des autrices que l'on a lues et de leur faire quelque publicité.

Après un début plutôt plat, qui a failli me perdre, sans doute à cause de la comparaison peu avantageuse que je n'ai pu m'empêcher de faire avec ce chef-d'œuvre de la littérature anglaise qu'est Clarisse Harlowe, ce court roman épistolaire est parvenu à me captiver davantage par sa satire piquante de la haute société aristocratique londonienne, qui ne connaît d'autres lois que la mode et où la phrase : « Tout le monde fait de même est (...) une règle constante, et la raison suffisante de toutes [les] actions ».

Mais là où ce roman attache vraiment, c'est avec la description de la violence qui s'installe dans le foyer conjugal, avec la transformation du mari, qui, de jeune libertin charmant mais évaporé, se change en effrayant tyran domestique. Ce changement, que je n'avais pas du tout vu venir, se fait à l'occasion de questions d'argent, l'époux désirant s'approprier, non pas ce qui permettrait à sa femme une indépendance financière dans le mariage, mais après sa mort éventuelle : le fameux douaire, qui permettait aux veuves de la noblesse de ne pas vivre aux crochets de leurs enfants.

Le tournant fantastique que prend le roman avec l'apparition du fameux sylphe éponyme, esprit qui va guider l'héroïne à travers les nombreux pièges de la société libertine, mais également de ses passions, m'a, je l'avoue, gênée. Je ne sais si cette invention plaisait au lectorat du XVIIIème siècle, mais pour ma part je l'ai trouvée artificielle et bizarre.

Hormis cette originalité (mais après tout le merveilleux se mêle à des œuvres présentées comme des peintures sociales et morales réalistes, sans que cela ne gêne personne : cf. Balzac), j'ai trouvé dans Le sylphe un roman typique de son époque et du genre dans lequel il s'inscrit (le roman sentimental, genre inauguré par S. Richardson) : une vision dichotomique des humains, dichotomie qui recouvre ici l'opposition campagne / ville, une série d'épreuves auxquelles se trouve soumise une vertueuse héroïne naïve et inexpérimentée, un dénouement qui comporte une reconnaissance* et la mise en œuvre d'une justice poétique**. Pour que sa fidélité aux règles du genre soit moins pesante, Cavendish place dans la bouche d'un de ses personnages, un commentaire méta-discursif et ironique sur l'action, qualifiée de « joli petit roman ».

C'est sans doute dans ces termes que l'on pourrait parler du Sylphe, mais outre que je n'ai pas envie de participer à la minoration perpétuelle des productions culturelles féminines, je lui trouve des qualités qui méritent qu'on lui donne sa chance. Je pense que le problème de cette œuvre est qu'il s'agit d'un premier roman, déjà très maîtrisé, mais qui manque d'étendue, qui offre une structure un peu simple, du fait d'un nombre de personnages limité. Dommage qu'il n'ait pas été suivi d'autres textes, où l'autrice aurait pu faire mûrir son talent ! Ceci dit, d'autres œuvres de Cavendish existent peut-être et seront peut-être un jour découvertes et publiées. 

* La reconnaissance ou anagnorisis est, dans la narratologie moderne, la découverte tardive d'une identité non décelée jusque-là. Cette découverte se fait dans le cadre de la scène de reconnaissance, qui, pour ce qui est du roman sentimental et du théâtre bourgeois, constitue le dénouement.
** La justice immanente ou justice poétique est l'affirmation du lien nécessaire, inévitable, entre une mauvaise action et sa sanction, à brève ou longue échéance. C'est aussi un procédé littéraire par lequel la vertu finit par être récompensée et/ou le vice puni.

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