Après
un début plutôt plat, qui a failli me perdre, sans doute à cause
de la comparaison peu avantageuse que je n'ai pu m'empêcher de faire
avec ce chef-d'œuvre de la littérature anglaise
qu'est Clarisse Harlowe, ce court roman épistolaire est
parvenu à me captiver davantage par sa satire piquante de la haute
société aristocratique londonienne, qui ne connaît d'autres lois
que la mode et où la phrase : « Tout le monde fait de même est
(...) une règle constante, et la raison suffisante de toutes [les]
actions ».
Mais
là où ce roman attache vraiment, c'est avec la description de
la violence qui s'installe dans le foyer conjugal, avec la
transformation du mari, qui, de jeune libertin charmant mais évaporé,
se change en effrayant tyran domestique. Ce changement, que je
n'avais pas du tout vu venir, se fait à l'occasion de questions
d'argent, l'époux désirant s'approprier, non pas ce qui permettrait
à sa femme une indépendance financière dans le mariage, mais après
sa mort éventuelle : le fameux douaire, qui permettait aux veuves de
la noblesse de ne pas vivre aux crochets de leurs enfants.
Le
tournant fantastique que prend le roman avec l'apparition du fameux
sylphe éponyme, esprit qui va guider l'héroïne à travers les
nombreux pièges de la société libertine, mais également de ses
passions, m'a, je l'avoue, gênée. Je ne sais si cette invention
plaisait au lectorat du XVIIIème siècle, mais pour ma part je l'ai
trouvée artificielle et bizarre.
Hormis
cette originalité (mais après tout le merveilleux se mêle à des
œuvres présentées comme des peintures sociales et morales
réalistes, sans que cela ne gêne personne : cf. Balzac), j'ai
trouvé dans Le sylphe un roman typique de son époque et du genre
dans lequel il s'inscrit (le roman sentimental, genre inauguré par S.
Richardson) : une
vision dichotomique des humains, dichotomie qui recouvre ici
l'opposition campagne / ville, une série d'épreuves auxquelles se
trouve soumise une vertueuse héroïne naïve et inexpérimentée, un
dénouement qui comporte une reconnaissance* et la mise en
œuvre d'une justice poétique**. Pour que sa fidélité aux
règles du genre soit moins pesante, Cavendish place dans la bouche
d'un de ses personnages, un commentaire méta-discursif et ironique
sur l'action, qualifiée de « joli petit roman ».
C'est
sans doute dans ces termes que l'on pourrait parler du Sylphe,
mais outre que je n'ai pas envie de participer à la minoration
perpétuelle des productions culturelles féminines, je lui trouve des qualités qui
méritent qu'on lui donne sa chance. Je pense que le problème de
cette œuvre est qu'il s'agit d'un premier roman, déjà très
maîtrisé, mais qui manque d'étendue, qui offre une structure un
peu simple, du fait d'un nombre de personnages limité. Dommage qu'il
n'ait pas été suivi d'autres textes, où l'autrice aurait pu
faire mûrir son talent ! Ceci dit, d'autres œuvres de Cavendish
existent peut-être et seront peut-être un jour découvertes et
publiées.
* La reconnaissance ou anagnorisis
est, dans la narratologie moderne, la découverte tardive d'une identité
non décelée jusque-là. Cette découverte se fait dans le cadre de la
scène de reconnaissance, qui, pour ce qui est du roman sentimental et du
théâtre bourgeois, constitue le dénouement.
** La justice immanente ou justice poétique
est l'affirmation
du lien nécessaire, inévitable, entre une mauvaise action et sa
sanction, à brève ou longue échéance. C'est aussi un procédé littéraire
par lequel la vertu finit par être récompensée et/ou le vice puni.
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