mardi 8 mars 2016

Un contrat unilatéral

Dominer la planète est une entreprise risquée : l'être humain, depuis qu'il s'est engagé dans cette voie, le sait bien et ne l'oublie pas. Il y a un mot en grec qui traduit le fait que ce risque, l'être humain le porte dans sa propre « nature » : c'est l'hubris, la démesure, qui appelle la némésis, le châtiment. Le comportement de l'être humain est en grande partie guidé par cette crainte de la démesure et du châtiment qui ne peut manquer de s'ensuivre. C'est ainsi que s'est développé chez lui une sensibilité à l'injustice qu'il est amené à commettre, à l'égard de lui-même comme à l'égard de son environnement.

Selon certains historiens amis de l'anthropologie et de l'éthologie, la plupart des rituels les plus fédérateurs, en vigueur au sein d'une société, sont marqués par le thème de l'injustice commise et de la rédemption. Mais ils rajoutent que ces rituels comportent une dimension de « mascarade » destinée à éviter à la collectivité de prendre trop au sérieux la réalité du tort commis et de la réparation à faire, et d'être submergée par le déchaînement émotionnel qu'appelle le sérieux du rite.

En l'occurrence, comme l'être humain n'est pas très futé, ce n'est qu'après avoir bien pourri l'environnement ou s'être bien pourri lui-même, qu'il finit par appliquer l'équation hubris => châtiment à ce qu'il vient de faire (pendant plusieurs siècles ou plus). D'où l'invention opportuniste du « contrat unilatéral » passé unilatéralement (comme son nom l'indique) par l'humanité dans son ensemble avec l'environnement (animal et végétal), ou par une partie de l'humanité (celle qui a commis l'injustice) avec une autre partie (celle qui l'a subie). Ce contrat (implicite bien sûr, mais qui prend des formes très concrètes) repose sur un engagement de la partie active (c'est-à-dire dominante) du contrat à réduire l'étendue des pressions imposées à la partie passive, à reconnaître qu'elle a fauté, à demander pardon et à promettre de mieux accompagner à l'avenir la partie passive dans la voie de progrès que la partie active a ouverte.

Le contrat unilatéral repose donc sur deux principes :
- les parties ne sont pas à égalité, l'une d'elles est incapable de s'engager autant que l'autre, voire est incapable de comprendre les termes du contrat (que seule l'autre appréhende correctement dans ses tenants et ses aboutissants)
- l'établissement du contrat, dans la mesure où la partie active s'engage à l'avenir envers la partie passive, gomme l'injustice commise antérieurement
En ce sens le contrat unilatéral fait partie de ces rituels évoqués plus haut, dont le fond est sérieux mais qui comporte une dimension de mascarade.

On en connaît plusieurs formes récentes : l'engagement à l'égard du climat et de la biodiversité, à l'égard des victimes de la colonisation européenne du 16ème au 20ème siècle...

La Journée du 8 mars pour les droits des femmes n'est-elle pas une nouvelle expression du contrat unilatéral, dont la partie active regroupe les hommes et la partie passive les femmes ?

Souhaitons que non, car si c'est le cas, cette journée s'inscrit parmi les actes rituels qui visent à trouver une solution à un problème d'injustice de l'être humain à l'égard de lui-même (des hommes à l'égard des femmes) tout en dédramatisant cette injustice, et elle repose alors sur les deux principes déjà mentionnés :
- les femmes ne sont pas égales aux hommes, elles ne peuvent s'engager vis-à-vis des hommes comme les hommes s'engagent vis-à-vis des femmes, les femmes sont même incapables de comprendre les termes du contrat, car elles ne savent ni ce qui est bon pour elles dans l'immédiat ni à quelle glorieuse destinée les mènent les hommes
- les torts commis antérieurement par les hommes à l'égard de femmes sont gommés par la seule perspective que leur sort s'améliorera dans l'avenir

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