En
lisant l'article Wikipédia sur le poète-troubadour du XIIe siècle,
Jaufré Rudel, je suis arrêtée par ce passage :
«
Surnommé le prince de Blaye,
ville dont il est le seigneur, il est semble-t-il actif à partir des
années 1120, et prend part à la deuxième croisade (v. 1147-1149).
Guillaume le troubadour a pris au père de Jaufré la forteresse de
Blaye et en a détruit les murs et la
tour. La forteresse n'est rendue à
Jaufré que longtemps après. »
Car
voilà qui me renvoie instantanément aux premiers vers du plus
célèbre sonnet de Nerval : El Desdichado (circa
1853).
«
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, / Le
Prince d’Aquitaine à la Tour abolie... »
Le
prince d'Aquitaine dont il est ici question a généralement été
identifié soit à Guillaume le troubadour, soit à son
arrière-petit-fils, Richard Cœur de Lion, tous deux ducs
d'Aquitaine. Dans un texte qui met en scène la figure du poète que
ce soit par des références à ses attributs traditionnels (le luth
et la lyre) ou à ses plus grands représentants (Phébus, Orphée,
Virgile, enterré près de la colline du Pausilippe, ou Salomon,
auquel renvoie immanquablement la référence à la reine de Saba),
le fait que ces deux hommes se soient essayés avec plus ou moins
d'application à la poésie rend cette hypothèse tout à fait
sensée. Mais l'épithète « à la tour abolie » qui ne peut
s'expliquer que par cette circonstance singulière de la vie de
Rudel, me semble devoir faire pencher en sa faveur. La référence au
seigneur de Blaye permet par ailleurs d'étoffer la thématique de la
spoliation qui court à travers le sonnet (Nerval regrettait
apparemment la perte de terres familiales sous l'Ancien Régime), de
même que celle de la séparation d'avec l'être aimé, puisque Rudel
a été le chantre de « l'amour de loin », dans lequel le
sentiment, loin d'être empêché par l'absence et le défaut
d'espoir, croît au contraire grâce à eux.
L'identité
du « Ténébreux » ne laisse par contre aucun doute : il s'agit
d'une évocation du célèbre Amadis de Gaule, qui apparaît dans le
roman de chevalerie éponyme, œuvre de Garci Rodríguez de Montalvo,
publiée en 1508. Amadis est surnommé le « Beau Ténébreux »,
lorsqu'il se retire, désespéré, dans une solitude sauvage, après
le rejet de sa chère Oriane.
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