vendredi 14 février 2020

Une révélation !


En lisant l'article Wikipédia sur le poète-troubadour du XIIe siècle, Jaufré Rudel, je suis arrêtée par ce passage :
« Surnommé le prince de Blaye, ville dont il est le seigneur, il est semble-t-il actif à partir des années 1120, et prend part à la deuxième croisade (v. 1147-1149). Guillaume le troubadour a pris au père de Jaufré la forteresse de Blaye et en a détruit les murs et la tour. La forteresse n'est rendue à Jaufré que longtemps après. »
Car voilà qui me renvoie instantanément aux premiers vers du plus célèbre sonnet de Nerval : El Desdichado (circa 1853).
« Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, / Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie... »
Le prince d'Aquitaine dont il est ici question a généralement été identifié soit à Guillaume le troubadour, soit à son arrière-petit-fils, Richard Cœur de Lion, tous deux ducs d'Aquitaine. Dans un texte qui met en scène la figure du poète que ce soit par des références à ses attributs traditionnels (le luth et la lyre) ou à ses plus grands représentants (Phébus, Orphée, Virgile, enterré près de la colline du Pausilippe, ou Salomon, auquel renvoie immanquablement la référence à la reine de Saba), le fait que ces deux hommes se soient essayés avec plus ou moins d'application à la poésie rend cette hypothèse tout à fait sensée. Mais l'épithète « à la tour abolie » qui ne peut s'expliquer que par cette circonstance singulière de la vie de Rudel, me semble devoir faire pencher en sa faveur. La référence au seigneur de Blaye permet par ailleurs d'étoffer la thématique de la spoliation qui court à travers le sonnet (Nerval regrettait apparemment la perte de terres familiales sous l'Ancien Régime), de même que celle de la séparation d'avec l'être aimé, puisque Rudel a été le chantre de « l'amour de loin », dans lequel le sentiment, loin d'être empêché par l'absence et le défaut d'espoir, croît au contraire grâce à eux.
L'identité du « Ténébreux » ne laisse par contre aucun doute : il s'agit d'une évocation du célèbre Amadis de Gaule, qui apparaît dans le roman de chevalerie éponyme, œuvre de Garci Rodríguez de Montalvo, publiée en 1508. Amadis est surnommé le « Beau Ténébreux », lorsqu'il se retire, désespéré, dans une solitude sauvage, après le rejet de sa chère Oriane.

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