Rappel : cette traduction est le fruit d'un travail long et difficile, réalisé pendant mes loisirs. Je serais extrêmement flattée qu'il vous soit utile et que vous l'utilisiez, en citant évidemment votre source et en y renvoyant par un lien. Merci à vous et bonne lecture.
1-6 Déesse aux pouvoirs
redoutés, nimbée de terreur (1), menant les augustes faveurs
divines (2), Inanna, dont la puissance de l'arme sainte 'ankar' (3)
parachève la perfection, baignée de sang, accourant aux grandes
batailles, délaissant la protection du bouclier, enveloppée des
tempêtes et des fortes crues, grande dame Inanna, habile à fomenter
la discorde, toi qui ruines les nations puissantes par la flèche et
la force, et qui les enchaînes.
7-9 Telle une lionne tu
emplis le ciel et la terre de tes cris et décimes les peuples. Tel
un énorme aurochs tu triomphes des nations hostiles. Telle une
lionne redoutable, par tes colères, tu pacifies les séditieux et
les insoumis.
10-22 Ma dame, le peuple
à tête noire module des chants en ton honneur, toutes les nations
chantent avec la plus grande douceur comment toi, demoiselle Inanna,
tu te fis aussi haute que le ciel, tu devins aussi magnifique que la
terre, comment tu parus, tel Utu (4) en majesté, les bras tendus
vers l'horizon et, prenant le chemin du ciel, te drapas dans ton
effroyable terreur, te drapas dans la lumière du jour, dans la
brillance qui inonde la terre, comment tu pris le chemin des grandes
chaînes de montagnes et y dardas tes traits, comment tu y baignas
les plantes 'girin' de ta lumière, comment tu donnas naissance à la
montagne illuminée, à la sainte montagne, comment tu ......, comment tu
te fis de plomb, avec ta masse d'arme, tel un joyeux seigneur, tel un
seigneur plein d'entrain, comment tu exultas dans le combat à la
manière d'une arme qui sème la destruction. (5)
23-24 Je louerai la dame
des batailles, l'illustre enfant de Su'en (6), demoiselle Inanna.
25-32 (Inanna déclara :)
« Alors que je cheminais par le ciel, que je cheminais par la
terre, que je cheminais par le ciel, que je cheminais par la terre,
que je cheminais par l'Élam et par le Subartu (7), alors que je
cheminais par les montagnes des Lulubis, alors que j'obliquais vers
le sein de ces montagnes, alors que j'approchais de la montagne, elle
ne m'a montré aucun respect, alors que j'approchais de la montagne,
elle ne m'a montré aucun respect, alors que j'approchais de la
chaîne des montagnes d'Ebih, elle ne m'a montré aucun respect. »
(8)
33-36 « Comme elle
ne m'a montré aucun respect, comme elle ne s'est pas prosternée en
mon honneur, comme elle n'a pas mêlé ses lèvres à la poussière
en mon honneur, je verserai moi-même l'effroi sur la chaîne de ces
montagnes sourcilleuses. »
37-40 « Contre ses
flancs les plus majestueux, je ferai porter d'énormes coups de
bélier, contre ses moindres flancs, je ferai porter de moindres
coups de bélier. Je lui donnerai l'assaut et entamerai pour elle la
'danse' de la sainte Inanna. À
la chaîne de montagnes, je livrerai bataille et je ferai la
guerre. »
41-44 « Je garnirai
mon carquois de ses flèches. Je me saisirai de la fronde et de ses
projectiles. J'entamerai le polissage de ma lance. Je préparerai le
bâton de jet et le bouclier. »
45-48 « Je mettrai
le feu à ses épaisses forêts. Je porterai la hache sur ses
méfaits. J'exciterai Gibil le purificateur (9) à découvrir ses
canines sacrées à l'encontre de ses cours d'eau. Je répandrai la
terreur à travers la chaîne des inaccessibles monts [de l'Ebih,
cette autre] Aratta. » (10)
49-52 « Comme une
cité que An a maudit, puisse-t-elle ne jamais se relever. Comme une
cité sur laquelle Enlil a levé un œil irrité, puisse-t-elle ne
jamais redresser la tête. Que la montagne tremble à mon approche.
Puisse Ebih me rendre honneur et hommage. »
53-58 Inanna, l'enfant de
Su'en, se vêtit de la pourpre royale et se ceignit joyeusement les
reins. Elle orna son front de l'éclat redoutable de la terreur. Elle
arrangea les rosettes de cornaline sur sa sainte gorge. Elle assura
vigoureusement l'arme à sept têtes 'cita' sur son flanc droit et
fixa à sa cheville le bracelet de lapis-lazuli.
59-61 Au crépuscule,
elle s'avança dans toute sa majesté et suivit le chemin de la
Merveilleuse Porte. Elle fit une offrande à An et lui adressa une
prière.
62-64 An, pour satisfaire
Inanna, s'avança et prit place. Il
s'assit sur le trône céleste. (11)
65-69 (Inanna déclara :)
« An, mon père, je te salue ! Prête l'oreille à mes propos.
Tu m'as faite terrifiante entre les divinités du ciel. Grâce à
toi, ma parole est sans rivale dans le ciel ou sur la terre. Tu m'as
donné ...... et l'arme 'cilig', tu m'as donné les emblèmes 'antibal'
et 'mansium'. »
(12)
70-79 « Tracer les
soubassements et affermir le trône et les fondations (13), ajuster
la puissante arme 'cita', coudée comme l'arbre 'mubum' (14),
m'ancrer sur la terre par une
sextuple attache, m'y maintenir par une quadruple attache (15),
aspirer aux incursions meurtrières et aux vastes campagnes
militaires, apparaître à ces
rois dans le ...... du ciel comme le clair de lune, décocher une
flèche et fondre en nuée, telle la dent de la sauterelle, sur les
champs, les vergers et les forêts, herser les nations révoltées,
déverrouiller pour toujours les portes de leurs villes – roi An,
tu m'as en effet donné tout cela, et ...... » (16)
80-82 « Tu m'as
placée à la droite du roi dans le but d'anéantir les nations
révoltées : puisse-t-il, avec mon aide, fendre les crânes à
la manière du faucon qui niche dans les contreforts de la montagne,
roi An, et puissè-je propager
ton nom à travers la terre comme on tend un filet. » (17)
83-88 « Puisse-t-il
détruire ces nations comme on le fait d'un serpent tapi dans sa
crevasse. Puisse-t-il les faire ramper alentour tel le serpent
'sajkal' qui glisse du haut de la montagne. Puisse-t-il
dominer la montagne, pénétrer ses mystères et en prendre la
mesure. Puisse-t-il toujours marcher triomphant et apprécier
l'immensité de la sainte contrée de An. Les
dieux ......, puisque les divinités Anuna ont ...... »
89-95 « Comment se
peut-il que la montagne ne me craigne pas, au ciel comme sur la
terre, que la montagne ne me craigne pas, moi, Inanna, au ciel comme
sur la terre, que la chaîne de montagnes d'Ebih la montagne ne me
craigne pas, moi, au ciel comme sur la terre ? Parce qu'elle ne m'a
montré aucun respect, qu'elle ne s'est pas prosternée, qu'elle n'a
pas mêlé ses lèvres à la poussière, puissè-je mettre la main
sur la chaîne de ces montagnes sourcilleuses et la livrer à ma
terreur. »
96-99 « Contre ses
flancs les plus majestueux, laisse-moi porter d'énormes coups de
béliers, contre ses moindres flancs, laisse-moi porter de moindres
coups de bélier. Laisse-moi lui donner l'assaut et entamer pour elle
la 'danse' de la sainte Inanna. À
la chaîne de montagnes laisse-moi livrer bataille, laisse-moi
faire la guerre. »
100-103 « Permets-moi
de garnir mon carquois de ses flèches. Permets-moi de me saisir de
la fronde et de ses projectiles. Permets-moi d'entamer le polissage
de ma lance. Permets-moi de préparer le bâton de jet et le
bouclier. »
104-107 « Laisse-moi
mettre le feu à ses épaisses forêts. Laisse-moi porter la hache
sur ses méfaits. Laisse-moi exciter Gibil le purificateur à
découvrir ses canines sacrées à l'encontre de ses cours d'eau.
Laisse-moi répandre la terreur à travers la chaîne des
inaccessibles monts [de l'Ebih, cette autre] Aratta. »
108-111 « Comme une
cité que An a maudit, puisse-t-elle ne jamais se relever. Comme une
cité sur laquelle Enlil a levé un œil irrité, puisse-t-elle ne
jamais redresser la tête. Que la montagne tremble à mon approche.
Puisse Ebih me rendre honneur et hommage. »
112-115 An, le roi des
dieux, lui répondit : « Ma chère petite exige la
destruction de cette montagne – sait-elle qui elle ose ainsi
défier ? Inanna exige la destruction de cette montagne –
sait-elle qui elle ose ainsi défier ? elle exige la destruction
de cette montagne – sait-elle qui elle ose ainsi défier ? »
116-120 « Cette
montagne a répandu une redoutable terreur sur les demeures des
dieux. Elle a semé l'effroi parmi les saintes demeures des divinités
Anuna (18). Elle a versé la terreur et la férocité sur ce pays.
Elle a fait rejaillir une gloire éclatante sur la chaîne de ses
montagnes, elle a fait régner la peur sur toutes les contrées. Son
arrogance en impose jusqu'au plus haut des cieux. »
121-126 « Le fruit
pend mollement dans ses jardins émaillés de fleurs et sa végétation
étale en tout lieu son exubérance. Ses arbres magnifiques sont
eux-mêmes une source d'émerveillement pour les racines des cieux
(19). Sur l'Ebih ...... les lions se rassemblent nombreux sous la voûte
des arbres et de leurs branches radieuses. Elle regorge de béliers
sauvages et de cerfs qui s'égaillent librement. On y trouve des
aurochs paissant l'herbe drue. Les cervidés aiment à s'accoupler
dans ses forêts de cyprès. »
127-130 « Tu ne
peux passer outre ses privilèges de terreur et d'effroi. L'éclat de
sa gloire est redoutable. Demoiselle Inanna, tu ne peux t'y
opposer. » Ainsi parla-t-il.
131-137 La maîtresse, de
rage et de colère, décadenassa son arsenal et en poussa la porte
incrustée de lapis. Elle en fit sortir la formidable bataille et
héla la grande tempête. Inanna la sainte s'empara de son carquois.
Elle souleva une crue gigantesque chargée d'un limon stérile. Elle
suscita un vent mauvais, tempétueux, frangé de tessons mordants.
138-143 Ma dame affronta
la chaîne de montagnes. Elle procéda méthodiquement, affûta le
fil de sa dague, saisit le cou d'Ebih comme on fait d'un bouquet de
spartes qu'on veut arracher, poussa la lame à travers les chairs et
rugit comme le tonnerre.
144-151 Les roches qui
formaient les membres d'Ebih tombaient avec fracas au bas de ses
flancs. De ses parois crevassées des serpents monstrueux crachaient
leur venin. Elle maudit ses forêts et couvrit ses arbres
d'imprécations. Elle dessécha ses chênes. Elle déversa des
torrents ignés sur ses flancs, d'où dévalait une nuée cendrée
toujours plus dense. La déesse soumit la montagne à son empire. Ce
qu'elle avait souhaité, Inanna la sainte le fit.
152-159 Elle s'approcha
d'Ebih et lui déclara : « Massif montagneux, en raison de
ton insigne élévation, en raison de ta hauteur, en raison de ton
prestige, en raison de ta beauté, en raison de ta sainte parure, en
raison de tes cimes qui touchent aux cieux, parce que tu ne t'es pas
prosterné, parce que tu n'as pas mêlé tes lèvres à la poussière,
je t'ai pris la vie et rabaissé. »
160-165 « Comme je
l'aurais fait d'un éléphant, je t'ai saisi par tes défenses. Comme
je l'aurais fait d'un grand
aurochs, je t'ai saisi par tes cornes épaisses pour te faire
mordre la poussière. Comme je l'aurais fait d'un taureau, j'ai
terrassé ta masse puissante et t'ai brutalement cloué au sol. Les
pleurs sont à présent la règle pour tes yeux. J'ai logé la
lamentation dans ton cœur. Des oiseaux de douleur nichent désormais
sur tes flancs. »
166-170 Se réjouissant
de la terreur que, redoutable, elle exhale, elle prit de nouveau la
parole, selon son droit : « Mon père Enlil a versé pour
moi la vaste terreur dessus le cœur des montagnes. À ma droite, il
a placé une arme. À ma gauche, il a placé ...... . Ma colère, une
herse aux longues dents acérées, a déchiré la montagne. »
171-175 « J'ai
construit un palais et fait bien plus. J'y ai placé un trône et
affermi ses fondations. J'ai donné au personnel du culte 'kurjara'
la dague et le bâton. J'ai donné au personnel du culte 'gala' les
tambours 'ub' et 'lilis'. J'ai modifié le couvre-chef du personnel
du culte 'pilipili'. »
176-181 « Triomphante,
je me suis précipitée vers la montagne. Triomphante, je me suis
précipitée vers Ebih, la chaîne de montagnes. Je me suis élancée
comme un flot tumultueux, et comme un fleuve en crue, j'ai débordé
la digue. J'ai imposé ma victoire à la montagne. J'ai imposé ma
victoire à Ebih. »
182-183 Pour avoir
détruit Ebih, ô fille de Su'en, demoiselle Inanna, sois louée.
184 Nisaba (19) soit
louée.
Notes
(1) Le mot « terreur »
ne désigne pas seulement, pour les Mésopotamiens, un affect intense
ressenti par quelqu'un devant quelque chose d'effrayant, il désigne
aussi la cause de cet affect, la chose effrayante elle-même. Il est
couramment appliqué aux apparitions divines : celles-ci sont
dites « nimbées de terreur » pour mettre en avant à la
fois l'affect que provoquent ces apparitions chez ceux qui en sont
témoins (hommes ou dieux) et la cause de cet affect (le dieu qui
apparaît). L'être des dieux consistant fondamentalement en leur
apparaître, la terreur est une de leurs vertus essentielles, une
expression essentielle de leurs pouvoirs. Il n'y a donc rien de
péjoratif à dire qu'Inanna est « nimbée de terreur »
ou qu'elle se réjouit de la terreur qu'elle exhale (paragraphe 166-170),
c'est seulement affirmer sa divinité et la jouissance qu'apporte son
statut à celle qui le possède.
(2) « Riding on the
great divine power » :
telle est la traduction que propose le Electronic Text Corpus of Sumerian Literature, expression qui évoque Inanna chevauchant une
abstraite cavale, telle une amazone sur les bords de la mer Noire. Or
en -2300, les animaux ne sont pas montés, au mieux ils tirent des
chars, par exemple des chars de combat, à quatre roues pleines, en
bois. En Mésopotamie, les dieux vivent dans des temples, dont ils
sortent à diverses occasions. Ils y ont l'apparence de statues (à
ossature bois), que l'on entretient, que l'on pare, que l'on habille,
que l'on nourrit, que l'on déplace tout au long de la journée.
Lorsque les dieux sortent du temple, on installe leur statue sur un
char tiré par des ânes ou des bœufs (quatre habituellement). Le
char est particulièrement ouvragé et les ânes ou les bœufs
particulièrement beaux. Ce char tiré par ces ânes ou ces bœufs,
voilà ce que monte, ce que
conduit Inanna, lorsqu'elle sort de son temple. L'assimiler au
« grand pouvoir divin »,
monté, conduit (deux des sens de ride)
par la déesse, est tentant, mais sans doute erroné. Cette
expression traduit en effet la locution sumérienne « ME »,
qui recouvre les diverses ressources de la civilisation par
opposition aux sociétés non urbaines. Les « ME » sont
ces trésors de l'intelligence sociale que les dieux mésopotamiens
ont révélés aux hommes pour qu'ils accèdent à la civilisation
(et les servent mieux), autant que les réalisations mêmes de cette
intelligence civilisée (au service des dieux). En tant que puissance
civilisatrice et destinataire de l'activité civilisée, Inanna est
détentrice de « ME », qu'elle dispense comme des faveurs
et dont elle reçoit les œuvres. Ce que monte et conduit de facto
Inanna, c'est l'œuvre (le char), qu'elle a reçue en retour de ses
faveurs (travail du métal, du bois, arts décoratifs, élevage),
mais le texte, par métonymie, substitue à l'œuvre l'art qui l'a
fait naître.
(3) Ankar est une arme
mythique, qui apparaît notamment dans les légendes de Ningirsu,
dieu tutélaire de la cité de Lagash. Il s'agit peut-être d'une
masse d'arme, symbole du pouvoir royal.
(4) Utu est le dieu
solaire (qui prit le nom de Shamash à Babylone, cinq siècles plus
tard). Il est, selon la tradition qui fait de Sîn le père d'Inanna,
le frère de celle-ci. La comparaison entre Inanna et Utu est donc
motivée par la relation de parenté. Signalons cependant que la
parenté chez les dieux n'a
rien de fixe et d'arrêté. Le syncrétisme religieux impose
en effet que les dieux aient entre eux des liens de parenté qui
seraient contradictoires s'il s'agissait d'humains. Ainsi, sous un
certain aspect, Inanna est la fille de Sîn et la sœur de Utu, mais
sous un autre aspect, elle est la fille de Anu et la grand-tante de
Sîn, et sous un autre aspect encore, elle est la fille d'Enlil et la
sœur de Sîn.
(5) Enheduanna emprunte
peut-être à un hymne à Utu-Shamash une
partie de l'éloge qu'elle fait d'Inanna,
emprunt qu'elle intègre à son poème par l'intermédiaire
d'une comparaison filée entre Inanna et Utu. Le fil de la
comparaison est la description d'un lever de soleil, de l'aube à
midi. Lorsque le soleil est encore derrière l'horizon, seul le ciel
est éclairé, puis, tandis qu'il se rapproche de l'horizon, les cimes des
montagnes commencent à s'illuminer. Les plantes 'girin' sont
peut-être des plantes typiques
des sommets. Le soleil se montrant à l'horizon, les montagnes se
dévoilent peu à peu, jusqu'à apparaître dans
tout leur éclat, sous une lumière frontale : c'est l'heure où
se révèle la sainteté de la montagne. Continuant sa course,
le soleil (de plomb) commence à écraser le paysage, jusqu'à midi,
heure de sécheresse et de mort, qui est pour lui le moment de sa
toute-puissance, d'où l'exultation que lui attribue Enheduanna.
L'enjeu de la traduction de ce paragraphe a été de préserver la
comparaison filée entre Inanna et le soleil sans perdre la lettre du
texte.
(6) Su'en, ou Sîn, est
le dieu lunaire (cf. note 4).
(7) L'Élam, avec ses
deux capitales, Anshan au sud et Suse au nord, occupe les contreforts
méridionaux de la
chaîne du Zagros. Les Subartu sont un groupe de peuples occupant la
chaîne du Zagros au nord de l'Élam. Les Lulubis sont un groupe de
peuples établis vers -2300 dans les contreforts de la chaîne du
Zagros au nord des Subartu.
(8) Enheduanna inscrit la
rencontre d'Inanna et d'Ebih dans le cadre d'un récit de voyage
cohérent avec la géographie mésopotamienne. Le voyage d'Inanna
débute le long de la rive orientale du golfe persique et se poursuit
vers le nord en suivant la grande chaîne du Zagros. Elle parcourt
ainsi l'Élam puis le pays des Subartu puis le pays des Lulubis et
décrit du sud au nord l'arc de cercle de la chaîne du Zagros.
Arrivée là où le Zagros touche au Taurus, Inanna se retourne en
direction du centre de l'arc de cercle, où se situe
approximativement la chaîne isolée de l'Ebih, coupée en son milieu
par le Tigre. Il faut alors l'imaginer, non telle qu'elle est
actuellement (fortement érodée, coupée en deux, desséchée et
relativement basse), mais majestueuse et altière dans sa solitude,
dépassant de loin les plus hauts sommets du Zagros et éminemment
fertile. C'est Inanna qui, dans le combat que décrit Enheduanna,
justifié par l'insolence de l'Ebih à son égard, lui donne sa
configuration actuelle.
(9) Gibil est le dieu
sumérien du feu et de la métallurgie. Il est dit « purificateur »
par le rôle du feu dans la réduction du minerai métallique.
Enheduanna en fait une
puissance divine au service d'Inanna et lui donne l'apparence
d'un animal qui montre ses crocs, sans doute un lion, emblème
de la déesse. L'opposition du feu et de l'eau explique peut-être
ici sa présence.
(10) Aratta est un pays
fabuleux que la littérature mésopotamienne situe aux alentours de
l'Élam. Elle la donne pour la première demeure d'Inanna, avant que
la déesse ne rejoigne définitivement Uruk, et elle lui prête la
plus grande richesse, notamment en minerais précieux et en artisans
compétents pour les travailler. Le parallèle fait entre l'Ebih et
Aratta est soutenu par leur commune richesse imaginaire, présentée,
pour ce qui concerne l'Ebih, un peu plus loin dans le texte, dans le
discours que An adresse à Inanna.
(11) L'invocation d'un
dieu par un autre dieu s'opère de la manière la plus solennelle.
Inanna franchit au crépuscule la porte du sanctuaire de An (la
« Merveilleuse Porte ») et dépose son offrande au centre
de l'aire dégagée qui précède le temple à proprement parler,
devant le trône sur lequel An doit prendre place, ce qu'il fait,
après avoir ouï les prières de sa « fille » Inanna.
Pour mieux comprendre la lettre du texte d'Enheduanna, il n'est pas
inutile de se référer au déroulement d'une cérémonie cultuelle
telle qu'elle pouvait avoir lieu à Uruk et au cours de laquelle la
statue d'Inanna rendait visite à la statue de An.
(12) Dans son discours à
An, Inanna commence par évoquer les dons que son « père »
lui a faits. – Il s'agit d'abord de la « terreur » (cf.
note 1). – Il s'agit ensuite de la force de la parole : pour
les dieux, une parole est forte quand elle assigne un destin
irrévocable ; quand un dieu assigne un destin à quelqu'un ou à
quelque chose, si sa parole n'est pas suffisamment forte, un autre
dieu peut le contredire et assigner lui-même un autre destin à la
personne ou à la chose ; éventuellement un dieu supérieur
peut être amené à trancher à l'écoute du pour et du contre, et
la parole la plus persuasive l'emporte. Telle est la rhétorique
divine pour les Mésopotamiens. Inanna a reçu de An le pouvoir
d'assigner des destins sans que nul n'ait la force de s'y opposer. –
Il s'agit enfin d'armes et d'emblèmes. Les armes divines sont des
puissances octroyées à un dieu, mais qui peuvent lui être ôtées
ou qu'il peut offrir à un autre dieu. Les emblèmes dont il s'agit
ici sont certainement du même type ; ils se distinguent des armes en
ce qu'ils dénotent moins une puissance qu'un statut. Parmi les
emblèmes qui appartiennent en propre à Inanna, il y a le couple de
hampes ligaturées et ornées d'une étoffe, qui est une
interprétation picturale de l'idéogramme cunéiforme de son nom.
Nous ne savons malheureusement rien de l'arme 'cilig' et de l'emblème
'antibal'. L'emblème 'mansium' est une insigne royale.
(13) Enheduanna évoque
la fonction royale par excellence : la fondation des temples
(cf. note 16). Trois moments sont retenus pour leur valeur
symbolique : le fait de tracer le soubassement du temple,
c'est-à-dire d'inscrire sur le sol la limite de la plateforme, sur
laquelle s'élèvera le temple en tant que tel ; le fait
d'affermir les fondations du temple en consolidant
la plateforme à l'endroit où le bâtiment doit s'élever, ce
qui recouvre notamment le dépôt de « clous de fondation »
à ses différents angles ; le fait d'affermir le trône,
c'est-à-dire d'installer cette pièce maîtresse du temple qu'est le
trône, sur lequel, dernière étape de la fondation, viendra prendre
place la statue du dieu, après
avoir fait son entrée solennelle dans l'enceinte du temple.
(14) L'arme 'cita'
pourrait être un fléau d'arme, dont le manche se prolongerait
en sept bâtons articulés, dotés
chacun d'une « tête » (paragraphe 53-58) ;
arme imaginaire, dont l'arbre 'mubum' est censé offrir une certaine
représentation ; malheureusement cet arbre nous est inconnu et
nous ne pouvons guère nous l'imaginer que par l'hypothèse que nous
faisons sur la nature de l'arme...
(15) Les attaches dont il
est question, c'est notre supposition, sont les six cités de
Mésopotamie qui accueillent un temple d'Inanna, parmi lesquelles
quatre devaient célébrer plus exclusivement son culte. Les temples
en Mésopotamie font le lien entre le ciel et la terre, entre les
dieux et les hommes. Y convergent le surplus alimentaire de
l'arrière-pays (grain, bétail) et une grande part des importations
de matières premières (bois, métal) ; les artisans de la ville
réalisent pour lui leurs plus beaux ouvrages (poterie, menuiserie,
orfèvrerie, tissage),
tout cela pour alimenter, vêtir, parer la déesse ou le dieu, et lui
donner une demeure digne d'elle ou de lui, dans laquelle elle ou il
pourra abriter ou inviter ses proches. Chaque temple possède par
ailleurs des « clous de fondation », de petites
statuettes disposées à certains endroits de son soubassement et
destinées à l'ancrer dans le sol, à garantir sa durée et à
maintenir dans le monde souterrain les forces mauvaises qui
pourraient en sortir. Les temples sont à Inanna ce que les « clous
de fondation » sont aux temples : de solides attaches à
la terre.
(16) Enheduanna, dans
cette strophe, alterne référence religieuse et référence
politique et militaire. Dans la seconde moitié du troisième
millénaire, avant l'unité politique imposée par Sargon, les rois
sont aussi les grands prêtres des dieux tutélaires de leur
cité-État. Avec Sargon, si les rois sont remplacés par des
gouverneurs et les grands prêtres par des hauts-fonctionnaires du
culte (hommes ou femmes), Sargon lui-même cumule la fonction de
grand roi d'Akkad et de Sumer et de fondateur ou de restaurateur de
temples. Dans tous les cas, le roi possède une fonction politique et
militaire et une fonction religieuse. Et Inanna est présentée par
Enheduanna comme la source ou le soutien du pouvoir des rois, tant
religieux que militaire.
(17) La dernière phrase
est assez obscure. Plutôt que de nous en tenir à du mot à mot,
nous avons opté pour une certaine lecture de l'idéogramme
cunéiforme du nom de An. Cet idéogramme est en l'occurrence assez
transparent : il s'agit d'une représentation du ciel par ses
quatre orientations fondamentales (nord
> sud, nord-ouest > sud-est, ouest > est, sud-ouest >
nord-est), qui se croisent en un centre qui est aussi bien le
centre de la terre (où se situe le temple de An) que le centre du
ciel (où se situe la place céleste de An). Il figure en quelque
sorte un filet ou une nasse recouvrant toute la surface de la terre.
(18) Les Annunaki ou
divinités Anuna sont mot à mot la progéniture de An, seigneur et
maître de toute chose. Ils logent auprès de lui dans les cieux, qui
sont comme son palais ouvert à sa parentèle. Les Annunaki ne sont
pas les seuls dieux du panthéon mésopotamien, mais ce sont les plus
élevés et les plus honorés.
(19) Les « racines
des cieux » désignent souvent les montagnes.
(20) Nisaba est la déesse
de l'écriture. Il n'est pas inintéressant de constater que ce
poème, patronné par une déesse, est rédigé par une poétesse en
l'honneur d'une autre
déesse. Il y a là une structure triangulaire exclusivement
féminine, et cela à la naissance de la poésie écrite, toute neuve
et pourtant déjà parfaitement accomplie.
Bonjour
RépondreSupprimermerci pour ces traduction le nom de cette poétesse signifie il beauté de la lune? je croyais aussi qu'elle avait écrit un poème à la lune ... merci de votre réponse et bravo pour votre travail
Merci de votre retour positif sur ce travail.
SupprimerEffectivement je vois dans Wikipédia que deux hymnes au dieu de la lune Nanna lui sont attribués (Westenholz, 1989).
La signification la plus probable de son nom, en-hedu-an-a, me semble être "noble ornement de An" (et non, comme on le voit parfois "grande prêtresse de Nanna"), dans la mesure où les noms sumériens avaient une valeur propitiatoire et ne décrivaient pas une fonction. "Beauté de la Lune" reste dans cette perspective tout à fait pertinent.
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour votre traduction, c'est un plaisir de la lire. J'aimerais en citer un extrait pour mes étudiants d'un cours de littérature sur les origines de l'imaginaire littéraire.
Pour indiquer la source, l'adresse URL et votre pseudonyme Gnatheana suffiront ou si vous préférez que j'ajoute un élément complémentaire?
Merci!
Olivier Ménard,
professeur au collège Montmorency, Québec, Canada.
Bonjour,
SupprimerMerci pour votre intérêt et votre respect pour mon travail.
L'URL de mon blog et la mention de mon nom de blogueuse sont effectivement suffisants.
Je suis heureuse de contribuer un peu à la connaissance de ce texte qui ne l'est pas assez à mon sens.
Bonne continuation, cordialement.
Gnathaena.