jeudi 27 septembre 2018

« Nous vivons de morts » : paroles de quelques célèbres et vénérables végéta*iens

Simon Matzinger
Extraits d'œuvres anciennes évoquant et promouvant une alimentation végéta*ienne :

Yeshoua` ben Shim`on ben El`eazar ben Sira, spécialiste de la Loi juive, directeur d'une école privée de droit religieux à Alexandrie (IIe siècle av. J.-C.) :
Dans le Siracide, appelé aussi l'Ecclésiastique ou encore La Sagesse de Ben Sira (un des livres poétiques ou sapientaux de l'Ancien Testament, rédigé vers 150 av. J.-C.), l'érudit affirme que l'homme tire sa vie du pain et de l'eau.

Publius Ovidius Naso dit Ovide, poète latin (43 av. J.-C. — 17 ou 18 ap. J.-C.) :
Ovide, dans ses Métamorphoses, fait la description que voici de la nourriture des hommes et des femmes des premiers âges :
« La terre (...), d'elle-même, offrait tout.
Contents des vivres qu'elle produisait
Sans contrainte, les hommes cueillaient
Les fruits des arbres, les fraises de montagne... » (Les métamorphoses, I, 102-104)

Lucius Annaeus Seneca, communément appelé Sénèque, philosophe de l'école stoïcienne, dramaturge et homme d'État romain (entre l'an 4 av. J.-C. et l'an 1 ap. J.-C. — 12 avril 65 ap. J.-C.) :
Sénèque, cherchant une raison au fait que tant d'hommes meurent brusquement et dans la fleur de l'âge (?), écrit au livre X de ses Controverses : « Tous les oiseaux qui volent çà et là, tous les poissons qui nagent, toutes les bêtes sauvages qui bondissent, trouvent leur tombeau dans notre ventre. Cherche maintenant pourquoi nous mourrons si subitement : nous vivons de morts. »

Anicius Manlius Severinus Boethius, communément appelé Boèce, philosophe et homme politique latin (vers 480 — 524) :
Au livre II de La consolation de Philosophie, Boèce écrit :
« Combien heureux l'âge premier !
De ses champs féconds il était satisfait (...)
Des glands apaisaient une faim sévère,
Une couche d'herbe lui procurait un sommeil réparateur (...)
L'eau courante du ruisseau étanchait sa soif. »
Toujours au livre II : « la nature se contente de peu et de petites choses », puis au livre III : « à la nature un rien suffit mais à la convoitise rien ne suffit ».

Petrus Comestor ou Pierre « le Mangeur (de savoir) », théologien français (1100 — 1178) :
Son nom réfère à la double réalité de l'alimentation dans le Christianisme : réalité pure et parfaite de l'alimentation spirituelle vs réalité impure et imparfaite de l'alimentation matérielle, la seconde étant soumise à la première.
Dans son Historia Scholastica (un résumé des livres de la Bible à l'attention du clergé et des prédicateurs), Pierre le Mangeur note que le Nouveau Testament ne rapporte pas que le Christ ait jamais mangé d'autre viande que celle de l'agneau pascal. Il sous-entend par là que l'alimentation des fidèles doit comporter très peu de viande et qu'il est bon de le leur rappeler dans le cadre de l'enseignement religieux.

Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart, théologien allemand, philosophe dominicain et père de la mystique rhénane (vers 1260 — vers 1328) :
« Je vous ai donné toutes les herbes (...) et tous les arbres (...) afin qu'ils vous servent de nourriture (Genèse, I, 29). On observera que le genre humain est constitué pour une nourriture frugale : il ne lui est pas enjoint d'user de chair. »
Le message est on ne peut plus clair ! Je remarque qu'à aucun moment il n'est question d'éthique animale : Eckhart ne fait pas le lien avec la domination des hommes sur les animaux. D'autres l'ont fait avant lui (l'homme est à l'égard des animaux comme un père à l'égard de sa maisonnée : il les domine au sens où il met en ordre leur activité, ceci pour le bien commun, non pour les dévorer). Eckhart préfère mettre en avant la vertu que revêt le choix végéta*ien : c'est le choix du retour à la simplicité, du retour à l'état de pureté d'avant le péché, c'est un choix de bon chrétien. L'option carniste traduit, elle, la perversion du péché, la pente vicieuse de la sauvagerie bestiale (rappelons qu'avant le péché, les ours et les lions, eux aussi, broutaient et mangeaient des fruits).
J'en conclus que pour Eckhart, le végéta*isme est un choix moral « onto-théo-logique » qui ne s'appuie pas sur des considérations relatives au bien-être animal, mais qui, impliquant une conversion morale profonde, est susceptible d'avoir des répercussions sur la relation de domination des hommes sur les animaux, et d'en bannir notamment les actes de maltraitance.

lundi 24 septembre 2018

Le sylphe de Georgiana Cavendish : impressions de lecture


 Je jette ici quelques notes sur Le sylphe, roman attribué à lady Georgiana Cavendish (7 juin 1757 - 30 mars 1806). Mon idée était de conserver une trace de mes impressions de lecture, démarche assez personnelle, j'en conviens, mais dont je publie pourtant ici le résultat, parce que les exigences de la publication me forcent à approfondir et construire un peu mieux ma pensée. Il s'agit également de l'œuvre d'une femme, assez méconnue en France, et il est toujours bon de parler des autrices que l'on a lues et de leur faire quelque publicité.

Après un début plutôt plat, qui a failli me perdre, sans doute à cause de la comparaison peu avantageuse que je n'ai pu m'empêcher de faire avec ce chef-d'œuvre de la littérature anglaise qu'est Clarisse Harlowe, ce court roman épistolaire est parvenu à me captiver davantage par sa satire piquante de la haute société aristocratique londonienne, qui ne connaît d'autres lois que la mode et où la phrase : « Tout le monde fait de même est (...) une règle constante, et la raison suffisante de toutes [les] actions ».

Mais là où ce roman attache vraiment, c'est avec la description de la violence qui s'installe dans le foyer conjugal, avec la transformation du mari, qui, de jeune libertin charmant mais évaporé, se change en effrayant tyran domestique. Ce changement, que je n'avais pas du tout vu venir, se fait à l'occasion de questions d'argent, l'époux désirant s'approprier, non pas ce qui permettrait à sa femme une indépendance financière dans le mariage, mais après sa mort éventuelle : le fameux douaire, qui permettait aux veuves de la noblesse de ne pas vivre aux crochets de leurs enfants.

Le tournant fantastique que prend le roman avec l'apparition du fameux sylphe éponyme, esprit qui va guider l'héroïne à travers les nombreux pièges de la société libertine, mais également de ses passions, m'a, je l'avoue, gênée. Je ne sais si cette invention plaisait au lectorat du XVIIIème siècle, mais pour ma part je l'ai trouvée artificielle et bizarre.

Hormis cette originalité (mais après tout le merveilleux se mêle à des œuvres présentées comme des peintures sociales et morales réalistes, sans que cela ne gêne personne : cf. Balzac), j'ai trouvé dans Le sylphe un roman typique de son époque et du genre dans lequel il s'inscrit (le roman sentimental, genre inauguré par S. Richardson) : une vision dichotomique des humains, dichotomie qui recouvre ici l'opposition campagne / ville, une série d'épreuves auxquelles se trouve soumise une vertueuse héroïne naïve et inexpérimentée, un dénouement qui comporte une reconnaissance* et la mise en œuvre d'une justice poétique**. Pour que sa fidélité aux règles du genre soit moins pesante, Cavendish place dans la bouche d'un de ses personnages, un commentaire méta-discursif et ironique sur l'action, qualifiée de « joli petit roman ».

C'est sans doute dans ces termes que l'on pourrait parler du Sylphe, mais outre que je n'ai pas envie de participer à la minoration perpétuelle des productions culturelles féminines, je lui trouve des qualités qui méritent qu'on lui donne sa chance. Je pense que le problème de cette œuvre est qu'il s'agit d'un premier roman, déjà très maîtrisé, mais qui manque d'étendue, qui offre une structure un peu simple, du fait d'un nombre de personnages limité. Dommage qu'il n'ait pas été suivi d'autres textes, où l'autrice aurait pu faire mûrir son talent ! Ceci dit, d'autres œuvres de Cavendish existent peut-être et seront peut-être un jour découvertes et publiées. 

* La reconnaissance ou anagnorisis est, dans la narratologie moderne, la découverte tardive d'une identité non décelée jusque-là. Cette découverte se fait dans le cadre de la scène de reconnaissance, qui, pour ce qui est du roman sentimental et du théâtre bourgeois, constitue le dénouement.
** La justice immanente ou justice poétique est l'affirmation du lien nécessaire, inévitable, entre une mauvaise action et sa sanction, à brève ou longue échéance. C'est aussi un procédé littéraire par lequel la vertu finit par être récompensée et/ou le vice puni.