dimanche 20 novembre 2016

De la musique avant toute chose...


Un peu de musique pour changer des considérations sur Ovide.

La chanson qui m'a presque fait changer d'avis sur Johnny :
Diego libre dans sa tête, Michel Berger, 1981, interprétation de Johnny Hallyday.
Enfin seulement le temps de découvrir qu'elle est largement inspirée de Bizet :
Les pêcheurs de perle, « Je crois entendre encore » (Romance de Nadir), 1863, Georges Bizet.

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Le sample qui me fait penser que j'aime vraiment bien NTM :
That's my people, Suprême NTM, 1998, NTM.
Bon, manifestement j'aime surtout Chopin :
Prélude in E-Minor op. 28 n° 4, 1835-1839, Frédéric Chopin.

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Le morceau qui m'a fait adorer Laibach...
Jezero, Krst Pod Triglavom, 1987, Laibach.
commence par un air de La Dante-Symphonie de Liszt, 1857.
Ceci dit, tout le reste est d'eux.

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La chanson horriblement guimauve que je déteste (et ce refrain !) :
Russians, The Dream of the Blue Turtles, 1985, Sting.
Donc je détesterais Prokoviev et sa Romance de la suite orchestrale Lieutenant Kijé ?

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Le morceau qui me fait dire : abstraction faite des paroles niaises, Gainsbourg a vraiment le sens de la mélodie et j'aime beaucoup.
Lemon Incest, Love on the Beat, 1984, Serge Gainsbourg, interprétation en duo avec Charlotte Gainsbourg.
Si l'on fait abstraction des paroles, j'aime beaucoup Chopin !
Étude n° 3 en mi majeur op. 10, « Tristesse », Frédéric Chopin.
En vérité, je ne peux pas écouter ce morceau sans entendre la paire de Gainsbourg à l'œuvre. Quand une reprise vous gâche l'original, c'est un véritable crime ! Et quand on pense que le père parlait d'hommage à Chopin !

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Décidément, Dave, c'est un peu pénible !
Vanina, Trop beau !, 1974, composée par Del Shannon, Max Crook, Patrick Loiseau, interprétée par Dave.
Oups, est-ce que je dirais toujours la même chose, si l'on me demandait mon avis sur ce morceau d'Igor Stravinsky ?
Concerto en ré pour violon et orchestre, 1931 (à partir de 15:44).
Je reconnais que l'emprunt est peu important, de l'ordre de quelques notes, et donne lieu à une intéressante amplification qui met en valeur le passage emprunté. Del Shannon, compositeur de Runaway, morceau repris par Dave, est plutôt bon !

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À l'époque, j'avais adoré le film Vorace (Antonia Bird, 1999) et la bande originale composée par Damon Albarn et Michael Nyman, et particulièrement le morceau Boyd's journey.
Nyman étant coutumier du fait, il n'est pas trop étonnant de découvrir que ce morceau est une reprise de :
Le Jugement du Roi de Navarre, vers 1349, Guillaume de Machaut.

Et vous, connaissez-vous d'autres exemples de plagiat, pardon, d'hommage à des compositeurs classiques ?

L'art d'aimer, Ovide - Livre 1 Conseils aux amants : trouver l'amour, savoir plaire

TRIGGER WARNING : violence sexuelle.

L'espace public : lieu de séduction / lieu de harcèlement

C'est pour voir qu'elles viennent [que les femmes viennent au théâtre] ; mais elles viennent aussi pour être vues ; l'endroit est dangereux pour la chaste pudeur.

Assieds-toi contre celle qui te plaît, tout près, nul ne t'en empêche ; approche ton flanc le plus possible du sien ; heureusement la dimension des places force les gens, bon gré mal gré, à se serrer, et les dispositions du lieu obligent la belle à se laisser toucher.
Ovide dispense ici ses conseils pour « draguer » aux jeux du cirque.

Si, comme il arrive, il vient à tomber de la poussière sur la poitrine de ta belle, que tes doigts l'enlèvent ; s'il n'y a pas de poussière, enlève tout de même celle qui n'y est pas : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. Le manteau, trop long, traîne-t-il par terre ? Prends-en le bord, et, avec empressement, soulève-le du sol malpropre. Aussitôt, récompense de ton zèle officieux, sans que ta belle puisse s'en fâcher, tes yeux verront des jambes qui en valent la peine.

Un non qui dit oui

Sois d'abord bien persuadé qu'il n'est point de femmes qu'on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur : tends seulement tes filets.
Ovide, qui vient d'exclure certaines femmes du nombre de celles qu'on peut séduire, revient déjà sur les limites posées, ce qui indique assez que ces limites ne sont que rhétoriques et ont pour but de contourner la censure. Plus loin, il dit encore : Persiste donc, et avec le temps tu vaincras Pénélope elle-même. Pénélope est pour tous les Anciens le type de l'épouse fidèle et même héroïque, puisqu'elle résiste sans faillir aux sollicitations pressantes et répétées des prétendants qui se sont installés chez elle.
Par ailleurs, Ovide s'attache dans ce premier livre à lever toutes les inhibitions et tous les scrupules éventuels de ceux à qui il s'adresse, les encourageant à toujours plus d'audace (mot choisi par le préfacier) ou toujours plus d'agressivité (mot qui me semble plus juste).

Celle que tu croiras peut-être ne pas vouloir se rendre le voudra secrètement. L'amour furtif [« le coup d'un soir »] n'a pas moins d'attraits pour les femmes que pour nous. L'homme sait mal déguiser, et la femme dissimule mieux ses désirs. Si les hommes s'entendaient pour ne plus faire les premières avances, bientôt nous verrions à nos pieds les femmes vaincues et suppliantes.
Ce passage repose sur un sophisme, plus précisément sur une pétition de principe. Ovide bâtit toute sa démonstration sur ce qu'il aurait dû préalablement démontrer : l'identité du désir de l'homme et de la femme.
Parler d'identité à propos des désirs féminin et masculin paraît incroyablement progressiste chez un Romain du Ier siècle, mais ce ne l'est qu'en apparence, car Ovide glisse insensiblement d'une vérité générale : « homme et femme sont des êtres également désirants » à une particularité : votre désir est celui de la femme que vous désirez, et ce glissement va autoriser la négation de la liberté et du désir féminins. L'homme devient par ce « raisonnement » la mesure du désir féminin, thèse des plus dangereuses.
Le seul argument proposé par l'auteur pour étayer sa thèse, est une expérience de pensée (à partir d'une situation donnée, imaginer ce qui s'ensuit), qui appartient au domaine de l'hypothèse.
De cette expérience de pensée, où une grève masculine de la « drague » amène les femmes à exprimer leur désir, Ovide tire une conclusion implicite : l'homme rend service à la femme en la draguant. La même idée sera développée plus loin sur le viol : le viol est un service rendu à la femme, il lui permet d'assouvir son désir sans devoir l'assumer et en conservant les apparences de la pudeur. Cette idée, me direz-vous, n'est pas propre à Ovide, ni à la culture romaine, et je vous répondrai que vous avez raison.

N'hésite pas à espérer triompher de toutes les femmes ; sur mille, il y en aura une à peine pour te résister. Qu'elles cèdent ou qu'elles résistent, elles aiment toujours qu'on leur fasse la cour.
Ovide ne cesse de catégoriser les femmes, d'établir entre elles des distinctions (les femmes bien / « interdites » vs les autres), qu'il annule ensuite au profit de cette grande vérité : toutes les femmes sont les mêmes et leurs différences ne sont qu'apparentes. Il parvient donc à faire coexister deux discours sexistes au sein d'un texte extrêmement rhétorique qui, de glissement en glissement, se contredit perpétuellement.

Si elle refuse ton billet [une lettre d'amour] et te le renvoie sans le lire, espère toujours qu'elle le lira, et persiste dans ton entreprise. L'indomptable taureau s'accoutume au joug avec le temps ; avec le temps on force le coursier rétif à obéir au frein. Un anneau de fer s'use par un frottement sans cesse renouvelé, et le soc est rongé chaque jour par la terre qu'il déchire. Quoi de plus solide que le rocher, de moins dur que l'eau ; et cependant l'eau creuse les rocs les plus durs. Persiste donc, et avec le temps tu vaincras Pénélope elle-même. Troie résista longtemps, mais fut prise à la fin.
Dans l'art de séduire tel que le conçoit Ovide, l'autre n'existe pas et disparaît complètement : ce qui compte dans la séduction, c'est le séducteur, qui doit observer toute une discipline par rapport à lui-même (il faut « espérer », « persister », actions qui ne concernent que soi), et ne suivre que la règle de son action.

Peux-être recevras-tu d'abord une lettre de mauvaise augure [en réponse à une lettre d'amour], où elle te demandera de cesser tes poursuites : ce qu'elle te demande, elle craint de l'obtenir ; ce qu'elle ne demande pas, elle le souhaite, elle souhaite que tu sois plus pressant ; poursuis et bientôt tu verras tes vœux accomplis.

Quel amant expérimenté ignore combien les baisers donnent de poids aux douces paroles ? Ta belle s'y refuse ; prends-les malgré ses refus. Elle commencera peut-être par résister : « méchant ! » dira-t-elle ; mais, tout en résistant, elle désire succomber. Seulement ne va pas, par de brutales caresses, blesser ses lèvres délicates, et lui donner sujet de se plaindre de ta rudesse. Après un baiser pris, si tu ne prends pas le reste, tu mérites de perdre les faveurs même qui te furent accordées. Que te manquait-il, dès lors, pour l'accomplissement de tous tes vœux ? Quelle pitié ! ce n'est pas la pudeur qui t'a retenu ; c'est une stupide maladresse. C'eût été lui faire violence, dis-tu ? Mais cette violence plaît aux belles, ce qu'elles aiment à donner, elles veulent encore qu'on le leur ravisse. Toute femme, prise de force dans l'emportement de la passion, se réjouit de ce larcin : nul présent n'est plus doux à son cœur. Mais lorsqu'elle sort intacte d'un combat où on pouvait la prendre d'assaut, en vain la joie est peinte sur son visage, la tristesse est dans son cœur. Phœbé fut violée ; Ilaïre, sa sœur, le fut aussi ; cependant l'une et l'autre n'en aimèrent pas moins leurs ravisseurs.
Le non-désir, qu'il soit exprimé par le langage, par les expressions du visage ou le langage du corps, ou même par le silence, exprime le désir : la femme est privée de tous moyens de communication, et c'est l'homme qui se charge de lui fournir un langage spécifique, où chaque chose veut dire son contraire et où n'est exprimé que l'assentiment à son propre désir.
Notons également que la métaphore de la séduction comme combat, qui semble proposer une vision égalitaire des deux sexes (la femme et l'homme se battent, ont chacun leurs armes...), fait de la relation sexuelle une défaite pour la femme et de plus une défaite désirée : mener une guerre avec l'espoir de la perdre, voilà une idée dont les ouvrages de stratégie ne se sont sans doute jamais avisés !
Enfin Ovide recourt constamment aux mythes pour étayer ses thèses* (ici, que les femmes veulent être violées). Il en fait une interprétation toute personnelle et introduit de la psychologie et des sentiments là où le plus souvent la sécheresse du mythe n'en comporte pas. Ainsi ces femmes violées aimant leur violeur sont-elles une pure invention de sa part : dans le mythe il est seulement dit qu'Ilaïre et sa sœur, Phœbé, sont enlevées par Castor et Pollux. Idem ci-dessous avec Déidamie.
* Ovide fait du mythe la matière de ses exempla. L'exemplum est un court récit qui vise à faire adopter un type de comportement civique ou qui est porteur d'une morale. Il a également la fonction de persuader. On voit qu'ici Ovide en fait une utilisation déviée et que l'exemple de Phœbé et d'Ilaïre est au service d'une morale tout à fait amorale. Sylvie Laigneau-Fontaine, professeure à l'université de Dijon, a relevé [clic] que l'auteur recourt à l'exemplum mythologique, dès qu'il s'agit d'emporter l'adhésion sur un point litigieux : il faut donc croire que l'idée que les femmes aiment être violées en était un pour la société romaine augustéenne.

C'est à la force qu'elle céda (du moins il faut le croire), mais elle ne fut pas fâchée d'avoir à céder à la force. Souvent elle lui dit : « Reste », quand Achille déjà se hâtait de partir ; (...). La violence, où est-elle ici ? Pourquoi d'une voix caressante, retenir, Déidamie, l'artisan de ton déshonneur.
Certaines versions du mythe (pas toutes ; il y a donc ici un choix délibéré d'Ovide de parler de viol), racontent qu'Achille, pour ne pas partir à Troie où il doit mourir, se cache chez le roi Lycomède, déguisé en femme. Partageant le lit de la fille de ce dernier, il la viole, viol dont naîtra un fils, le célèbre Pyrrhus ou Néoptolème.

Oui, si la pudeur ne permet pas à la femme de faire les avances, en revanche c'est un plaisir pour elle de céder aux attaques de son amant. Certes, il a une confiance trop présomptueuse dans sa beauté, le jeune homme qui se flatte qu'une femme fera la première demande. C'est à lui de commencer, à lui d'employer les prières ; et ses tendres supplications seront bien accueillies par elle. Demandez pour obtenir : elle veut seulement qu'on la prie. (...). Si cependant on ne répond à tes prières que par un orgueilleux dédain, n'insiste pas davantage, et reviens sur tes pas. Bien des femmes désirent ce qui leur échappe, et détestent ce qu'on leur offre avec instance. Sois moins pressant, et tu cesseras d'être importun.
Vous noterez que ce conseil est en complète contradiction avec ceux qui précèdent : L'art d'aimer me semble, à bien des égards, une sorte d'exercice de style rhétorique, où souvent la forme prime sur le fond, ce qui n'empêche pas que ce fond, tantôt plus, tantôt moins, soit sexiste et machiste.

Les mille défauts des femmes : légèreté, cupidité, ruse, coquetterie, bêtise...

Un rien suffit pour gagner ces esprits légers.

Prends bien garde à l'anniversaire de ton amie, et que le jour où il faut faire un cadeau soit néfaste à tes yeux ! Tu auras beau t'en défendre, elle t'arrachera quelque chose : la femme a trouvé l'art de s'approprier l'argent d'un amant passionné.
Les femmes transforment toute relation amoureuse en relation vénale, rendent économiques les relations sexuelles : elles sont intrinsèquement des prostituées. La prostitution (l'échange d'un service sexuel contre de l'argent ou des cadeaux) n'est pas une domination des hommes sur les femmes, mais bien l'inverse. Elle naît de la malhonnêteté foncière des femmes.

Et il n'est pas difficile d'être cru [quand on fait des compliments] : toute femme se juge digne d'être aimée ; si laide soit-elle, il n'en est pas une qui ne se trouve bien.

La relation homme-femme : une relation de dupes

Et promets hardiment : les promesses entraînent les femmes ; prends tous les dieux à témoin de tes engagements. Jupiter, du haut des cieux, voit en riant les parjures des amants et ordonne aux autans éoliens, de les emporter et de les annuler.

Ne vous jouez, si vous êtes sage, que des femmes. Vous le pouvez impunément. Dans ce seul cas, le mal n'est pas plus honteux que la bonne foi. Trompe celle qui te trompe. Dans la plupart des cas, c'est une engeance sans scrupules ; elles ont tendu des pièges ; qu'elles y tombent !
La relation homme-femme s'inscrit dans un cadre totalement amoral, autorisé par l'immoralité originaire des femmes, dont les hommes sont les victimes.
Pour les commentateurs qui ont abordé la question de la misogynie d'Ovide, quelquefois d'ailleurs pour l'en dédouaner (!), voilà le passage où elle se manifeste. Cela me laisse perplexe : placer une relation sous l'angle de la tromperie est certes relativement odieux. Mais l'on verra dans le troisième livre que la tromperie est sans doute le seul domaine où hommes et femmes sont à égalité, puisque l'auteur y invite ses élèves femmes à tromper leurs amants. Voilà comment l'on peut conclure qu'Ovide n'est misogyne qu'en apparence, alors qu'il me semble avoir montré que sa misogynie ne fait aucun doute et qu'elle s'exerce quasiment sur tous les aspects du rapport aux femmes qu'il propose.
Ovide insiste constamment sur l'impunité totale du séducteur : qu'il pelote une femme aux jeux du cirque, qu'il en harcèle une autre qui le repousse ou qu'il se parjure, l'homme ne risque absolument rien, pas plus de la justice des hommes que de celle des dieux.

L'érotisation de la souffrance

On entraîne de force ces femmes [les Sabines enlevées par Romulus et ses compagnons], proie destinée au lit nuptial, et plus d'une a pu s'embellir de sa crainte même.
L'érotisation de la souffrance féminine est sans doute nécessaire dans un système qui place le viol au centre de la sexualité masculine. Si la peur, les cris ou les pleurs n'étaient pas perçus comme excitants, s'ils exprimaient ce qu'ils sont (de la souffrance), on peut imaginer que les hommes pour partie, les voyant ou les entendant, passeraient moins à l'acte. Cette érotisation minimise la souffrance de la victime, elle l'en désapproprie, en fait une simple manifestation extérieure sans réalité physique ou affective.
De là à penser et à affirmer que les femmes simulent la souffrance pour augmenter leurs charmes et plaire aux hommes : Les femmes apprennent à pleurer en temps opportun, elles versent des larmes quand elles le veulent et comme elles le veulent (Livre III).

Qui jamais, moins qu'Andromède, enchaînée sur son rocher, put espérer que ses larmes intéresseraient quelqu'un à son sort ? C'est souvent aux funérailles d'un mari qu'on en trouve un autre : rien ne sied mieux à une femme que de marcher les cheveux épars, et de donner un libre cours à ses pleurs.

lundi 14 novembre 2016

Un manuel à l'usage des pick up artists* vieux de deux-mille ans : L'art d'aimer, Ovide.

* Pour de plus amples explications, c'est par .

Introduction

Jeune écolière, je me souviens qu'en cours de latin, notre professeur nous avait présenté le célèbre poète Ovide comme une sorte de féministe avant l'heure, grand ami des femmes, attentif au désir et au plaisir féminins, bref, un être rare. Il semblait tenir pour certain que le poète avait été chassé de Rome, non parce qu'il aurait entretenu une liaison avec Julie, la fille de l'empereur Auguste, ou pour une autre raison (rappelons que le motif de sa relégation dans une île de la mer Noire demeure inconnu), mais parce qu'il avait ouvertement évoqué la sexualité féminine dans son traité L'art d'aimer, qu'il l'avait placée sur le même plan d'importance que celle masculine, fautes impardonnables aux yeux d'un empereur vieillissant et austère, désireux de restaurer la morale et les valeurs bien masculines des anciens romains.
Aujourd'hui que je ne suis plus écolière et que ma confiance paresseuse et heureuse dans mes maîtres, ou ce qui les a remplacés, n'est plus (ou presque), j'ai bien envie d'aller y voir de plus près.
Dans la préface de l'édition des Belles Lettres, Ph. Heuzé, professeur à l'Université de Nantes, nous y dit ceci :
« Le plus souvent, la psychologie féminine intéresse les misogynes. Ici, le portrait est tracé par un homme qui aime les femmes, à tous les sens du terme. On a signalé comme une importante nouveauté la revendication d'un plaisir également partagé. (...). On ne voit jamais Ovide souhaiter que les femmes soient différentes, sauf peut-être au chapitre des cadeaux... »
Ah ! ah ! l'opinion de mon professeur sur Ovide semble ici partagée : attention portée au plaisir féminin, fine connaissance de la psyché féminine, philogynie qui s'oppose à l'extrême misogynie d'un Juvénal par exemple...
Cela commence donc très bien pour notre Publius Ovidius Naso, né en 43 av. J.-C. dans le centre de l'Italie et mort en 17 ou 18 ap. J.-C. en exil, auteur notamment des Héroïdes, lettres d'illustres personnages féminins de la mythologie à leurs maris ou amants absents, et des Fards ou Soins du visage, qui renferment des conseils de beauté destinés aux femmes.

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Quelques remarques

* L'art d'aimer comporte trois livres, deux à destination des hommes, le dernier s'adressant aux femmes. Ce troisième livre n'était pas prévu à l'origine et laisse voir une composition plus négligée. La structure de l'œuvre montre d'emblée un déséquilibre en faveur des hommes, qui va se retrouver dans l'ensemble de son contenu.

* Voici ces trois livres : Livre 1 Conseils aux amants : trouver l'amour, savoir plaire. Livre 2 Conseils aux amants : faire durer l'amour. Livre 3 conseils aux amantes.

* Ovide s'intéresse ici, non à l'amour dans le cadre du mariage ou bien ouvrant sur le mariage (j'ignore si l'un et l'autre pouvaient coexister chez les Romains), mais à la relation sexuelle d'un soir avec une inconnue préalablement séduite, ou à la relation amoureuse de quelques mois ou années entre un amant et sa maîtresse.

* La cible de son livre :
Ses lecteurs : de jeunes romains (tous les lieux de drague évoqués sont à Rome), plutôt d'un bon milieu, ayant la culture et le loisir nécessaires pour apprécier son œuvre et mettre ses conseils en pratique.
Ses lectrices ET les femmes à séduire : c'est là que les choses se compliquent. A priori, lectrices et femmes à séduire ne doivent pas être mariées, la fidélité étant une vertu essentielle de l'épouse romaine ; ce ne sont pas non plus des jeunes filles (on ne plaisante pas avec la virginité des jeunes filles libres), ni des esclaves, ni des courtisanes (objets indignes d'un « art » de la séduction), mais des affranchies plus ou moins jeunes, disposant de la liberté de choix de leur(s) partenaire(s), d'une relative liberté dans leurs mouvements et de leur liberté sexuelle (leur sexualité n'est pas un enjeu social). Mais à la lecture du texte, on s'aperçoit que sa cible, active ou passive, est beaucoup plus large qu'Ovide ne nous le dit et qu'en la réduisant en apparence aux affranchies, il cherche surtout à se préserver des foudres de la censure, ce qui n'aura que peu d'efficacité, puisque l'immoralité de son livre lui sera beaucoup reprochée et sera peut-être une des raisons de son exil.

* Dans les articles suivants, je laisse la parole à Ovide, dont je propose un certain nombre de citations qui me paraissent représentatives. Je les ai rassemblées par thèmes, tout en conservant peu ou prou la structure des trois livres.

vendredi 11 novembre 2016

Quand j'entends les réactions des politiques et des médias français à l'élection de D. Trump, je saisis mieux le sens de cette phrase :
C'est le succès, (...), dans tous les événements humains, c'est le succès qui justifie.
Clarisse Harlowe de Samuel Richardson, 1748.