« Maints épisodes cités dans nos sources évoquent le rôle extraordinairement important des femmes, non seulement comme participantes aux mouvements, mais encore en tant que dirigeantes et meneurs appelant à la révolte. Parmi les noms des chefs exécutés nous trouvons fréquemment des noms de femmes. Souvent, elles sont l'élément principal d'une insurrection, si bien que dans ce cas, les sources nomment ces mouvements des « émeutes féminines ». En 1641, le soulèvement de Grenoble dirigé contre l'impôt sur le sel fut clandestinement préparé et organisé par des femmes qui sortirent armées de hallebardes et de bâtons, et se portèrent contre les agents du fisc et contre les consuls de la ville. Elles obtinrent l'abolition de cet impôt. Une émeute typiquement féminine peut être signalée à Valence en 1644, lorsque l'intendant Fouquet et deux conseillers du parlement de Grenoble ont dû se défendre contre une foule de femmes armées. »
Le regard sur la Fronde a beaucoup varié selon les époques : vrai élan révolutionnaire ou simple agitation aristocratique ? Loin de reprendre à leur compte l'idée qui s'est imposée au XVIIIe siècle, d'un événement historique mineur, des historiens du XXe siècle ont établi un parallèle entre la Fronde et la Révolution française (1). Porchnev montre dans cet extrait que ce parallèle est exact jusqu'en ce qui concerne le rôle des femmes, dont l'importance dans les mouvements insurrectionnels qui suivent 1789 nous est sans doute davantage connue.
(1) Jusqu'à l'exagération, comme Madelin qui, en 1932, met en parallèle l'acte d'insubordination déclarée du Parlement et le serment du Jeu de Paume, la milice bourgeoise et la garde nationale, les fuites de la cour à Rueil puis à Saint-Germain et la fuite à Varennes, Gaston d'Orléans et Philippe-Égalité, Broussel et Bailly, Beaufort et La Fayette, Gondi et Talleyrand, Boile et Danton, les pamphlétaires et Camille Desmoulins ou Marat.
On appelle généralement « Fronde » la fronde parlementaire de 1648-1649 et celle des princes de 1651-1653. En fait ces deux moments ne sont que les dernières vaguelettes d'un vaste ras-de-marais révolutionnaire qui se prolonge pendant environ vingt ans. La France qui fronde est un pays traversé par une profonde fracture sociale qui compromet la cohésion de la bourgeoisie elle-même, groupe social pourtant supposé faire le lien entre petit peuple et noblesse : il n'y a rien en effet de commun entre la haute bourgeoisie des offices qui peut prétendre à l'anoblissement et la petite bourgeoisie laborieuse des artisans. Cette fracture sociale se ressent surtout dans les campagnes, où la paysannerie est soumise à une lourde pression fiscale de la part du roi jointe à celle des seigneurs (ecclésiastiques ou aristocratiques) de plus en plus riches et de plus en plus éloignés géographiquement. Dans la France du XVIIe siècle, les perspectives d'ascension sociale, encore ouvertes pour la haute bourgeoisie (ce qui ne sera plus le cas après la Fronde et deviendra l'un des motifs de la révolte bourgeoise de 1789), sont fermées pour tout un salariat non protégé qui se développe dans cette période et où le mécontentement trouvera à s'exprimer dans des mouvements insurrectionnels violents. Les révoltes paysannes des Croquants et des Nus-Pieds amorcent et renforcent ces mouvements urbains qui se déclarent partout dans l'Ouest, le Sud et l'Est de la France... Face à ce mécontentement, le pouvoir central ne sait que réagir par la force, et par une force de moins en moins mesurée : les armées royales, d'abord occupées par la guerre de Trente ans, sont ensuite disponibles pour en réprimer les manifestations dans le sang.
Pour le rôle des femmes de la noblesse dans la Fronde, les Mémoires du cardinal de Retz, publiées en 1717, 40 ans après leur rédaction, montrent qu'il est bien réel. Mais sur ce point, la Fronde diffère de la Révolution de 1789. Les mesdames de Chevreuse, Montbazon, Bouillon, Lesdiguières ou encore la Palatine, remplissent une fonction importante, si ce n'est essentielle, dans les événements de la fronde du parlement et des princes : elles sont diplomates, négociatrices, espionnes, informatrices, conseillères, « influenceuses »... Mais elles ne sont telles que parce qu'elles sont épouses, mères, amantes, amies, parentes... de frondeurs. Elles n'ont d'existence politique qu'à travers les hommes, même si elles peuvent dominer ces hommes et leur imposer leurs vues (c'est le cas de madame de Montbazon qui a tous pouvoirs sur son candide soupirant, le duc de Beaufort). Ce type de rapport au pouvoir ne disparaît pas totalement à la Révolution française : madame Roland, femme de ministre, dirige quasiment le ministère de l'Intérieur au travers de son mari. Il y est cependant vivement critiqué, la critique se concentrant sur la figure décriée des favorites de ministres, femmes corrompues et corruptrices qui gouverneraient depuis l'alcôve. Mais plus que la corruption morale de ces femmes et d'un régime politique qui les fait prospérer, ce qui est condamné dans le pouvoir des favorites, c'est bien l'influence féminine en général, supposée déviriliser les hommes acceptant de la subir. Quoi qu'il en soit, ce type de rapport au pouvoir apparaît déjà comme daté à la fin du XVIIIe siècle, car s'exprime, chez certaines, la volonté d'accéder aux fonctions politiques sans médiation masculine... J'espère pouvoir développer ces considérations sur les femmes et la « grande révolution » dans un prochain article.
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