J'ai
découvert il y a deux ans peut-être la notion de féminicide,
encore largement ignorée du grand public et des médias.
Le
terme figure pourtant depuis 2014 dans le Petit Robert. J'en
cite ici la définition : « Meurtre d’une femme, d’une fille, en
raison de son sexe ».
Ainsi
le meurtre d'enfants de sexe féminin dans certains pays d'Asie, la
sélection prénatale pratiquée en Inde par exemple, mais aussi en
Europe orientale (Albanie, Arménie...), les tueries de masse dont la
plus tristement célèbre se poursuit en ce moment même à Ciudad
Juárez, au Mexique, les meurtres politiques et terroristes qui ont
eu lieu à L'École Polytechnique de Montréal en 1989 et dans une
sororité du campus de Santa Barbara en 2014, les « crimes d’honneur
», l'assassinat de femmes par leur conjoint ou par des inconnus…
sont des féminicides (également appelés gynécides ou gynocides).
Comme
le rappelle la campagne Reconnaissons le féminicide : « La
violence machiste est la première cause de mortalité des femmes de
16 à 44 ans dans le monde ». Par ailleurs, le féminicide conduit à
un déficit plus ou moins important selon les pays de la population
féminine et à un déséquilibre du ratio des sexes.
Les
législations de pays comme la Bolivie, l'Espagne, l'Italie...
reconnaissent déjà le féminicide. En France, les militantes d'Osez le féminisme, entre
autres, plaident pour qu'il soit introduit dans la loi française et
qu'il constitue une circonstance aggravante.
Les
hommes tuent donc massivement les femmes, mais l'inverse existe-t-il,
a-t-il existé, même dans une bien moindre mesure ?
Une
telle question peut paraître paradoxale : la violence qui s'exerce
d'un dominant sur un dominé, et dont l'exercice est en très grande
partie accaparé par les hommes, la dépréciation universelle des
femmes, dont la vie a moins de valeur que celle des hommes, voire est
un fardeau, la culture machiste dans laquelle la femme est
dépositaire de l'honneur de l'homme, qui en lave la souillure dans
le sang, autant de facteurs qui rendent raison du féminicide.
L'androcide, c'est-à-dire le meurtre d'un homme parce qu'il est
homme, l'androcide commis par une femme, n'a aucune raison d'être :
quel profit à tuer un homme dont la vie a socialement tant de prix ?
Comment tuer un homme, quand la violence ne fait partie ni de la
culture ni de l'éducation féminines ? Quelle avantage à le faire,
puisqu'un tel meurtre ne comporterait aucune dimension réparatrice
ou purificatrice, comme c'est le cas dans les « crimes d'honneur »,
et ne serait pas socialement admis et valorisé.
Par
ailleurs, il ne me semble pas avoir connaissance de faits-divers ou
d'événements qui manifesteraient l'existence de ce type de crime
(*). Osez le féminisme est plus affirmatif : « Les faits
montrent qu’il n’existe aucun cas de meurtre androcide. »
Le
Wikipédia anglais, lui, mentionne l'existence d'androcides, mais
perpétrés par des hommes sur des hommes. Ainsi le massacre de
Srebrenica, où environ 8000 Bosniaques trouvèrent la mort, le 12
juillet 1995, est un androcide. Dans ce cas, l'androcide vise des
hommes en âge de porter les armes et a pour but d'en réduire le
nombre.
(*)
Le SCUM Manifesto de Valerie Solanas appelle bien à «
supprimer le sexe masculin », mais on ne peut pas dire qu'il ait été
suivi.
Pourtant
l'androcide, le meurtre d'hommes par des femmes, existe... du moins
dans le fantasme des hommes.
Dominique
Godineau en rapporte un exemple (article ici) : nous sommes à
l'automne 1793, la France connaît depuis plusieurs années de vastes
bouleversements sociaux. La plus grande part des hiérarchies et des
structures sociales et politiques existantes ont été détruites ou
remaniées. Les femmes révolutionnaires qui militent pour la
reconnaissance de leur place dans la République, ont acquis le droit
(et l'obligation) de
porter la cocarde tricolore, symbole réservé au citoyen. Elles
réclament d'une façon de plus en plus pressante le droit de porter
les armes au sein de bataillons féminins de la garde nationale
(autre marque de la citoyenneté, car seuls les citoyens actifs ont
le droit d'y entrer). Cet acquis et ces revendications provoquent les
rumeurs les plus folles : l'armement éventuel des femmes inquiète
les hommes. Le 8 brumaire de l'an II (29 octobre 1793), le député
Fabre D'Églantine, au cours d'un discours à la Convention qui
entraînera un durcissement de la loi à l'égard des femmes et
stoppera le mouvement vers l'égalité politique, se fait l'écho des
propos de clients d'un cabaret. Il choisit donc de rapporter les
paroles de deux alcooliques, sentant qu'elles porteront dans son
auditoire et y rencontreront des préoccupations et des angoisses
similaires. Ces clients s’inquiétaient de ce que, une fois armées,
les femmes pussent assassiner les hommes « au moment où ils n’y
penseraient pas », et laisser ensuite régner « une Catherine de
Médicis qui enchaînerait les hommes ».
Dans
le fantasme masculin qui s'exprime ici, on relève plusieurs choses
intéressantes :
-
Le massacre des hommes précède l'instauration d'un pouvoir féminin
et l'inversion du rapport de domination homme-femme.
-
Ce pouvoir au féminin est à la fois tyrannique (retour à la
monarchie, esclavage des hommes) et monstrueux : il est aux mains d'
« une Catherine de Médicis », cette grande figure si décriée de
l'histoire de France, souvent présentée comme celle qui domine ses
fils, qui règne à leur place, et comme la responsable de la Saint
Barthélémy. Cruelle et dominatrice, elle est une femme
contre-nature, qui a abandonné la douceur et la soumission qu'on
attend de son sexe.
-
La femme armée, bouleversant les codes sexuels, conserve cependant
certains caractères qui sont traditionnellement attribués au sexe
féminin, la sournoiserie et l'imprévisibilité (« au moment où
ils n'y penseraient pas »).
Il
est également intéressant de lire dans les craintes de ces hommes,
une espèce d'aveu de ce qu'est la domination masculine et de ce sur
quoi elle repose : ce qui la fonde, c'est, non la faiblesse des
femmes appelant la protection des hommes, c'est la violence (un
massacre), qu'ils redoutent de subir à leur tour. Ils projettent
dans l'avenir la répétition d'une violence originaire qu'ils ont
fait subir aux femmes pour pouvoir les dominer.
Ces
femmes androcides qui peuplent les fantasmes des révolutionnaires
français, je les retrouve bien des siècles auparavant, dans
l'imaginaire des mythes grecs : cf. articles suivants sur les
Lemniennes et les Danaïdes.
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