samedi 19 mars 2016

Les insurgées du ghetto de Varsovie

Mars convive des femmes # 2

Du 19 avril au 16 mai 1943, dans le ghetto de Varsovie, des combattantes et combattants juifs, souvent très jeunes (1), se battent côte à côte contre les forces d'occupation allemandes, non pas avec l'objectif de remporter une victoire, mais « pour [leur] dignité humaine, sociale, nationale et pour [celle des Polonais] », dans un combat où « chaque seuil du ghetto sera une forteresse » (2). Il s'agit de la plus importante insurrection militaire en Europe centrale occupée, pour ce qui est de la durée comme des forces engagées.


Deux grandes organisations militaires sont à l'origine de l'insurrection.

- L'Organisation Juive de Combat

Au mois d'octobre 1942, un accord passé entre la quasi-totalité des mouvements juifs existants, permet la création de l'Organisation Juive de Combat : elle dispose d'un effectif de jeunes femmes et de jeunes hommes sûrs, entraînés à l'activité clandestine, formant des unités cohérentes, disciplinées et prêtes à tous les sacrifices.

- L'Association Militaire Juive

Ce groupe armé est né à l'initiative d'officiers militaires juifs de l'armée polonaise. Il recrute à l'origine ses membres dans les milieux juifs de droite, appartenant au mouvement « sioniste-révisionniste », puis dans toutes les couches de la population qui veulent participer aux combats et auxquelles les rangs de l'OJC sont fermés.

- Des particuliers, hommes et femmes, vont également participer à l'insurrection en dehors de ces deux organisations.



La décision de « liquider » le ghetto

À l'automne 1942, alertée par différentes sources de la décision des Allemands de « liquider » le ghetto, la Résistance armée bat le rappel de ses troupes et mobilise toutes les jeunes filles et tous les jeunes hommes disponibles, et notamment ceux passés à l'extérieur du ghetto. Une membre des scouts polonaises, qui a aidé à cacher nombre de ses amis appartenant aux scouts juifs, Anne Borkowska, raconte dans son journal :

Filles et garçons se mirent à piaffer d'impatience. Un mouvement de retour se dessina : ceux qui étaient nés à Varsovie décidèrent d'y retourner. (…). La résignation fit place à une obstination tragique. Je prenais congé de chacun d'eux, le cœur serré : je n'ignorais pas où et au-devant de quoi ils allaient.



Les premiers combats

Le 18 janvier 1943, les groupes armés s'opposent par la force à une nouvelle vague de déportation ; après quatre jours de combats de rue, le ghetto est paralysé et les déportations suspendues.



Les préparatifs de l'ultime combat

Pendant plusieurs semaines, le retrait partiel des Allemands laisse aux forces militaires juives le temps de mieux s'armer, de fortifier le ghetto, d'installer des mines et de créer des abris.

Des femmes des sapeurs féminins de l'Armée de l'Intérieur (résistance polonaise), sous la direction du Dr Sophie Franio, participent au transport des armes et des matières inflammables à l'intérieur du ghetto.



L'ultime combat

L'insurrection éclate le 19 avril 43. Les femmes agissent à tous les niveaux : elles sont tireuses embusquées, observatrices, agents de liaison, éclaireuses... Par contre, elles sont absentes des postes de commandement. Zivia Lubetkin est la seule femme dans le Haut Commandement de l'OJC.

 Zivia Lubetkin avant l'invasion de la Pologne en 1939.


L'étonnement des Allemands devant ces femmes combattantes est rapporté par Marc Edelman, un des chefs et fondateurs de l'OJC, dans son journal :

Au deuxième étage, à une des fenêtres, il y a Dora. Elle tire avec acharnement. Les Allemands l'ont remarquée : « Schau, Hans, eine Fraue schiesst ».

Jurgen Stroop, général des SS et de la police chargé de combattre le ghetto, est témoin de l'héroïsme des insurgées. Il en fait part à ses supérieurs :

Les femmes faisant partie de groupes de combat étaient armées de la même manière que les hommes ; certaines d'entre elles appartenaient au mouvement Haloutz (3). Il n'était pas rare de les voir tirer des deux mains à la fois. Souvent se répétait le même cas de femmes qui cachaient armes et grenades sous leurs vêtements pour les utiliser au dernier moment contre les soldats de la Waffen SS et de la Wehrmacht. (4)

Combattantes du Haloutz capturées par les Allemands et attendant leur exécution.


L'attitude héroïque des femmes est également rapportée par le général de Police Krüger, qui déclare dans une conférence avec Hans Frank, gouverneur général de Pologne :

On sait qu'elles sont plus fortes que les hommes. Nous l'avons constaté aussi pendant la liquidation du ghetto de Varsovie. (...). Il a été constaté alors que les Juives combattaient armes à la main et jusqu'au bout contre les soldats SS et la police.

Enfin, des témoins polonais évoquent le courage désespéré des insurgés en général, et plus particulièrement celui des femmes :

Voici, par exemple, qu'au milieu du feu des mitrailleuses et des armes automatiques, qu'échangent les SS, cachés dans les porches des maisons entourant le ghetto, et les Juifs qui se tiennent sur les murs du quartier, voici qu'un Juif, percé d'une balle, s'écroule ; au même instant, une femme saisit son fusil mitrailleur, le braque sur les Allemands et continue de tirer avec acharnement. (5)



La destruction du ghetto

Au bout de plusieurs semaines de combats acharnés, les résistants sont décimés, le commandement de l'insurrection tombe le 8 mai 1943. Dans le ghetto incendié par les nazis, des groupuscules indépendants continuent la lutte, les autres survivants n'ont d'autre choix que le suicide ou la fuite par les égouts vers les maquis qui se sont constitués dans les forêts aux alentours de Varsovie, et qui prendront part à l'insurrection générale de la ville en 1944.

Le 16 mai 1943, J. Stroop note dans son rapport que les opérations militaires qu'il dirige ont pris fin et que l'ancien quartier juif de Varsovie n'existe plus.

Pourtant des insurgés isolés continuent la lutte dans les ruines et Goebbels lui-même est obligé de le reconnaître. Il écrit à la date du 22 mai dans son journal : « La bataille du ghetto continue. Les Juifs se battent toujours. »



Conclusion

On lit dans les journaux écrits par les résistants, de nombreux témoignages de l'héroïsme des femmes. On y voit paraître une certaine forme d'égalité dans le combat, ainsi qu'une volonté de ne pas faire disparaître cette réalité : le plus souvent, on ne parle pas de combattants mais de combattants et de combattantes.

Ces combattantes se trouvent surtout, et peut-être même exclusivement, dans les rangs de l'OJC. Rappelons que l'OJC est d'inspiration bundiste. Le Bund, créé à la fin du XIXème siècle en Russie, est un mouvement socialiste, laïc, en rupture avec la tradition juive, notamment en ce qu'il promeut une stricte égalité hommes-femmes.



(1) Ils sont âgés de 13 à 22 ans, selon Marek Edelman, chef de l'insurrection. Le général SS Jurgen Stroop, dans un de ses comptes rendus, parle, lui, de « groupes de combat se composant de 20 à 30 jeunes hommes et jeunes femmes âgés de 18 à 25 ans ».

(2) Proclamation du ghetto au combat, L'Organisation Juive de Combat, 23 avril 1943.

(3) Il s'agit de la Jeunesse sioniste, appelée Haloutz (pionniers).

(4) Compte rendu de Jurgen Stroop. Ses rapports ont été produits par l'accusation au procès de Nüremberg.

(5) Chronique des années de guerre et d'occupation, septembre 1939 – février 1944, Ludwik Landau.

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