Des hommes en robe # 1 | |
D'abord
enveloppé (fort étroitement) de langes jusqu'à l'âge du sevrage
(qui survient vers les deux ans), l'enfant, qu'il soit fille ou
garçon, porte ensuite la robe, presque en tout point pareille à
celle de sa mère, et composée d'une jupe, d'une robe et d'un
tablier. Cette habitude d'habiller garçonnets et fillettes comme de
petites femmes a été prise au XVIe siècle. Elle subsistera en
grande partie jusqu'aux lendemains de la guerre de 14.
Marie
Leszczynska, reine de France, et le dauphin Louis, peints par Alexis
Simon Belle vers 1730, châteaux de Versailles et de Trianon. Louis
de France est âgé ici d'un an environ.
Catherine
de Béthisy et son frère Eugène, peints par Alexis Simon Belle dans
le premier quart du XVIIIe siècle, châteaux de Versailles et de
Trianon.
Quelques
différences existent cependant entre le vêtement des garçons et
des filles, notamment au niveau du col, des manches, de la coiffure,
des accessoires, détails qui peuvent permettre dans les tableaux de
connaître le sexe des enfants.
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Portrait
de la nombreuse famille du Landgraf Moritz von Hessen-Kassel, peint
par August Erich en 1618-1628, Musée de Kassel. Les jouets des
enfants, tambour, arbalète, cheval de bois... pour les garçons,
fleur, poupée... pour les filles, sont autant d'indices du sexe de
chacun.
Méfions-nous
néanmoins de ces oppositions trop simples : ainsi dans le portrait
des enfants Béthisy, on peut voir que le petit Eugène tient un
bouquet de fleurs. De même les cerises, symboles traditionnellement
féminins, se retrouvent sur le portrait d'un garçon de deux ans,
peut-être Louis de Nassau.
Louis
de Nassau (?), peint par Daniël van den Queborn en 1604-1605,
Rijksmuseum.
Vers
l'âge de raison, à savoir sept ans, quelquefois plus tôt (quatre
ou cinq ans), nouveau changement de costume : le petit garçon porte
maintenant une espèce de robe, qu'on appelle la jaquette (*). À
l'âge de 13 ou 14 ans enfin, le jeune homme abandonne la jaquette
pour l'habit masculin adulte, comme le rapporte la marquise de Créquy
dans un passage de ses Mémoires :
On
maintenait les garçons en jaquette longue aussi long-temps qu'on
pouvait, souvent jusqu'à l'âge de 13 ou 14 ans ; c'était suivant
l'ennui qu'ils en prenaient et les persécutions qui s'en suivaient
de leur part.
Toujours
chez madame de Créquy :
Le
costume du Roi consistait dans une petite jaquette à plis et à
manches pendantes en drap violet ; il était coiffé d'un simple
béguin de crêpe violet qui paraissait doublé de drap d'or. Il
avait des lisières qui tombaient par derrière jusqu'au bas de sa
robe.
Le
petit roi est alors âgé de quatre ans. Il assiste ici à son
premier lit de justice au Parlement de Paris.
Les
enfants Habert de Montmor, peints par Philippe de Champaigne en 1649,
Musée des Beaux-Arts de Reims. À gauche, les deux aînés, dix et
sept ans, sont vêtus comme des adultes. À droite, les jumeaux,
presque cinq ans, portent la jaquette avec son collet. Au centre, les
deux derniers garçons de la famille, vingt-trois mois et huit mois,
entourent leur sœur et portent comme elle la robe et le tablier.
(*)
Définition et exemple empruntés au Littré : « Robe que portent
les petits garçons avant qu'on leur donne la culotte ». Sa
femme entra dans son cabinet, suivi d'un petit garçon en jaquette.
[Saint-simon, Mémoires complets et authentiques du duc de
Saint-Simon]
Les
changements vestimentaires ne concernent que l'habillement des
garçons. Élevé d'abord dans un monde de femmes (nourrices,
gouvernante), l'enfant mâle est amené à le quitter pour accéder
au monde des hommes. Cette transition est matérialisée par le port
d'habits différents et de plus en plus masculins.
Ainsi
l'adoption de la jaquette, vêtement qui rappelle fortement celui que
la noblesse de robe, dans l'exercice de ses charges, et les
ecclésiastiques portent à l'âge adulte, et dont le collet est un
élément du vestiaire masculin, coïncide avec le moment où
l'enfant entre au collège ou est confié aux soins, non plus d'une
gouvernante, mais d'un précepteur ou d'un gouverneur.
Le
vêtement en lui-même rend visible le passage du temps et le
franchissement de nouvelles étapes. Philippe Ariès, dans L'enfant
et la vie familiale sous l'Ancien-Régime, l'explique très bien
:
Pour
son anniversaire, à quatre ans [il s'agit de Louis XIII], il
porte des chausses [culotte, caleçon] sous sa robe et un an
plus tard on lui ôte le bonnet d'enfant pour lui donner le chapeau
des hommes. (…). Mais six jours plus tard, la reine lui fait
remettre le bonnet.
On
peut donc voir que le passage à l'âge adulte et vers le monde masculin
ne se fait pas de façon linéaire et qu'il y a bien des retours en
arrière possibles.
L'enfant,
vêtu comme sa mère jusqu'à l'âge de sept ans, porte comme sa mère
un corset. L'abbé de Choisy, célèbre pour avoir continué de
s'habiller en femme à l'âge adulte, raconte ainsi dans ses Mémoires
:
… effectivement
j'en [de gorge] avais autant qu'une fille de quinze ans. On m'avait
mis dès l'enfance des corps [corset] qui me serraient extrêmement
et faisaient élever la chair, qui était grasse et potelée.
J'ouvre ici une parenthèse : le port de la robe par François-Timoléon de Choisy enfant est souvent mal compris et présenté comme transgressif. On y voit la conséquence d'une lubie de sa mère ou la volonté de flatter, en l'imitant, celui près duquel il passe son enfance : le frère de Louis XIV. Philippe, duc d'Orléans, est fréquemment décrit, dans les écrits de vulgarisation historique, comme efféminé et homosexuel. On donne pour raison à cela qu'il aurait été élevé et habillé comme une fille, pour que, n'ayant pas reçu l'éducation digne d'un roi, c'est-à-dire une éducation virile, il ne puisse prétendre plus tard à cette fonction et tenter d'usurper le trône.
Je
laisse les images prouver l'inexactitude de cette opinion :
Louis
XIV à trois ans, peint par Hyacinthe Rigaud, châteaux de Versailles
et de Trianon.
Anne
d'Autriche, régente, Louis XIV et Philippe, duc d'Anjou, tableau
Anonyme, vers 1643. Notons que Louis XIV porte ici la jaquette.
Pour
conclure, cette mode qui confond fillettes et garçonnets, peut nous
paraître bien étrange dans notre société où la distinction des
genres se fait visible dès la naissance. Mais ce qui compte alors,
dans cette société d'Ancien-Régime, est moins l'opposition
masculin / féminin (qui ne fait l'objet d'aucun doute), que celle
enfance / âge adulte. Cette dernière opposition naît à la fin du
XVIe siècle ; pendant tout le Moyen-Age, elle n'existe pas :
l'enfant est un adulte comme les autres. Mais cette distinction ne
concerne, comme on l'a vu, que le sexe masculin : la fillette, dès
qu'on l'a démaillotée, est une femme, elle n'a pas d'enfance, pas
de costume propre, son éducation ne fait pas, comme pour les
garçons, l'objet d'une réflexion spécifique et n'exige pas la
création d'institutions spécialisées (ce qui ne signifie pas pour
autant qu'elle n'est pas éduquée).
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